Bulletin de la Société Paul Claudel, n°212

Sommaire

René Sainte Marie Perrin
Correspondance Paul Claudel – Édouard Herriot (1913-1951), 9

Gabrielle Stemmer
Devenir de l’Ombre double. Exemple pour le traitement intermédial du surnaturel dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, 35

NOTE

Armelle de Vismes
« Me voici » ou Claudel en marche, 51

ENTRETIEN

Guanqiao Huang
Partage de midi. Quatre œuvres théâtrales de Paul Claudel traduites en chinois par Zhongxian Yu, 65

EN MARGE DES LIVRES

Ayako Nishino, Paul Claudel, le nô et la synthèse des arts (Masakazu Hayashi), 73
L’Oiseau noir, no XVII (Michel Wasserman), 77

Assemblées générales extraordinaire et ordinaire du 25 janvier 2014 de la société Paul Claudel, 83
Bibliographie, 89
Annonces, 91
Nécrologie, 97
Résumés, 99

 

Devenir de l’ombre double

Exemple pour le traitement intermédial du surnaturel dans Le Soulier de satin de Paul Claudel

Parmi la vaste famille des personnages dramatiques, les personnages surnaturels jouent plus que tout autre avec les conventions théâtrales et les conditions de la représentation. En effet, le devenir scénique de tels personnages – ou plus largement leur devenir représentationnel, car nous étudierons ici un devenir radiophonique – suscite nombre de problèmes dramaturgiques, qui ne peuvent être dissociés d’une pensée générale de l’action de la pièce à laquelle ils participent. Les choix dramaturgiques liés aux personnages surnaturels sont en cela inévitablement herméneutiques, voire idéologiques. La représentation du texte de théâtre rend ainsi particulièrement manifestes les enjeux de l’intermédialité.

De façon schématique, nous pouvons avancer que chaque média doit composer avec un problème spécifique dû à la nature des personnages surnaturels, que nous définirons provisoirement comme des personnages non-humains, placés dans l’échelle des êtres à un niveau différent de celui des personnages que nous pourrions qualifier de mimétiquement humains. Le texte de théâtre doit assigner à ces personnages non seulement une identité et une nature par les seuls moyens différentiels à la disposition du texte (ce sera principalement leur nom, et éventuellement leur langue), mais doit aussi leur conférer une place au sein d’une esthétique, si bien qu’il a pour mission de signaler et d’instaurer un régime de croyance particulier. C’est donc la relation de ces personnages surnaturels avec les autres personnages qui est en jeu dans le texte. Le passage à la scène se trouve quant à lui confronté à la paradoxale incarnation du personnage surnaturel par le corps du comédien, à la nécessité de représenter visuellement ce qui à l’état textuel était laissé à l’imagination du lecteur. La mise en scène du surnaturel nécessite donc des choix qui vont déterminer la réception de ces personnages. Enfin, la radio doit trouver comment signifier le surnaturel de façon uniquement sonore, en s’appliquant bien à ne pas annuler les différences essentielles qui existent entre ces personnages surnaturels et les autres. Derrière chacune de ces trois interrogations différentes se retrouve la question, centrale, de ce qui distingue, dans la performance, les personnages surnaturels des autres personnages. Le média textuel doit créer la distinction, le média radiophonique, la signifier par les moyens du média, et le média scénique, la conserver en dépit du média. Trois défis qui mettent en place différents pactes fictionnels pour chaque média, qui remettent continuellement en jeu l’équilibre et la signification de l’ensemble de la pièce. Ce sont ces défis et la manière dont ils sont relevés qui vont nous occuper, à travers l’exemple du personnage de l’Ombre double dans Le Soulier de satin, dans son texte, ses mises en scène et sa mise en ondes.

« En cet être nouveau fait de noirceur informe1 »

La formation du personnage

L’Ombre double est un personnage éphémère du Soulier de satin. Elle vient à l’existence et se fait entendre dans un monologue l’espace d’une courte scène, à la fin de la deuxième Journée, et en tant que personnage, elle ne reviendra plus. Le caractère éphémère du personnage au sein de la pièce est en adéquation avec sa nature. N’ayant goûté à l’existence « qu’une seconde seule », elle est ce que son nom indique, et le lecteur du Soulier de satin peut se représenter assez facilement l’image de ce personnage (aidé en cela par la didascalie initiale de la scène) : une ombre faite du mélange des deux ombres de deux personnages humains, de Rodrigue et de Prouhèze, qui se sont croisés une nuit devant un « mur violemment frappé par la lune ». De cette rencontre qui est à peine une étreinte2, Claudel tire un personnage, en figeant l’image de cette ombre double au moyen d’une suspension du temps3, en ouvrant une brèche dans la temporalité « humaine » (nous entendons par là celle des personnages humains à l’intérieur de la pièce) dont ce nouveau personnage surnaturel s’extrait pour plaider pathétiquement sa cause devant le spectateur. Notons d’ailleurs que l’Ombre double, contrairement aux autres personnages surnaturels du Soulier qui s’adressent toujours à la fois au public et aux personnages, emploie elle toujours la troisième personne pour parler des amants, effet de distanciation qui accrédite son « accusation » et lui permet d’affirmer son statut de personnage en s’émancipant de ses « auteurs ». L’Ombre double est un reproche qui s’élève sur la scène et s’en prend aux personnages, s’adressant au spectateur devenu témoin et complice. Par cette adresse au spectateur, en même temps que par son déplacement de la convention dramatique (en cela qu’elle exige un nouveau régime de croyance du spectateur par rapport à celui sollicité par des personnages « naturels » et humains : Prouhèze ou Rodrigue par exemple), l’Ombre double opère une dissociation des niveaux fictionnels de la pièce. Consacrée par l’écriture poétique, cette « seconde seule » va « ne plus finir », et s’étirer en quelques minutes face au spectateur – s’imposer pour quelques lignes au lecteur. Elle est de plus l’unique union des deux amants, qui ne seront jamais directement mis en présence avant la fin de la troisième Journée, pour se faire alors leurs adieux. Les scènes de L’Ombre double et de la Lune sont en cela les seules qui réunissent les amants, symboliquement et poétiquement – indirectement, de manière idéale4. La scène de l’Ombre double est donc bel et bien une scène clef du drame.

Mais ce personnage de l’Ombre double ne sert pas uniquement l’intrigue du drame, il s’inscrit également dans l’ensemble de l’œuvre claudélienne. Dans Le Soulier de satin, il prend place au sein du vaste motif de l’union permanente des êtres séparés, motif qui pourrait se suivre dans l’ensemble de la pièce, car il en est un des leitmotive (annoncé par le Père Jésuite, poursuivi par Prouhèze et Rodrigue, par Musique, par l’Ange Gardien, par Camille, par Sept-Épées…) Dans l’ensemble de la production claudélienne, l’ombre est un motif fétiche pour figurer l’invisible, ce qui a été perdu dans un monde, mais subsiste dans l’autre5. Elle incarne le caractère irrémédiable de la persistance du passé dans le présent et du présent dans le futur, s’achevant sur une confusion des temporalités. Exacerbation d’une seconde arrachée à l’espace et au temps humains, le personnage de l’Ombre double symbolise ainsi également la conception claudélienne de l’existence, en supportant la focalisation surnaturelle des autres personnages surnaturels du Soulier, « peuple des cieux6 » qui a connaissance du fait que « ce qui a existé une fois fait partie pour toujours des archives indestructibles », dans « la page de l’éternité » d’une mémoire universelle qui se confond avec la mémoire divine. Avec les autres personnages surnaturels du Soulier de satin, l’Ombre double donne à lire, à voir et à entendre à la fois l’art poétique et la vision du monde de Claudel.

Si nous nous intéressons maintenant, non plus à son sens ni à sa fonction, mais à sa nature, au sens physique ou encore ontologique du terme, nous comprenons en quoi sa réalisation scénique peut devenir problématique. L’Ombre double est une ombre, personnage-phénomène, c’est une image qui n’est donc que le reflet de deux corps qui ont cessé d’être ensemble : elle n’a aucun corps. En ces conditions, comment penser son incarnation ? Les différents metteurs en scène du Soulier ont chacun répondu à leur manière à cette énigme dramaturgique. Sa mise en scène est manifestement le défi principal rencontré par les metteurs en scène, comme en témoignent l’échec de cette scène dans la première mise en scène de Jean-Louis Barrault, l’émancipation radicale de Vitez, et l’invention de Py.

« Une ombre sans maître »

L’incarnation d’une ombre

Jean-Louis Barrault (qui mettra en scène le Soulier plusieurs fois dans sa carrière, tendant toujours plus vers la version intégrale) supprime en effet dans un premier temps cette scène pourtant clef du Soulier de satin, en raison de la complexité technique de sa réalisation, mais aussi parce que cette scène a pu être jugée trop abstraite et périphérique à l’intrigue, ce qui est en soi un contresens, comme nous l’avons rapidement montré. Claudel déplore alors à plusieurs reprises et à différents destinataires sa frustration face à la suppression de cette scène, qu’il estime capitale pour la pièce ; on trouve trace de ce regret dans les Mémoires improvisés :

De là l’idée de « l’Ombre double » qui, à mon très grand regret, n’a jamais pu être complétement réalisée au théâtre. Barrault et moi avons fait différents essais à ce sujet-là sans pouvoir y réussir. Je ne sais pas si, au cinéma, la chose serait possible davantage ? Je le crois, parce que le cinéma dispose de beaucoup plus de ressources que le théâtre. En tout cas, je regrette vivement que cette scène n’ait pu se réaliser parce qu’elle était essentielle dans mon drame, parce que ce drame est l’histoire de deux amants qui ne peuvent pas parvenir à se rejoindre. Il aurait fallu au moins qu’il y ait une scène qui montre que, dans l’idéal, en tout cas, cette réunion ait pu avoir lieu, et que l’instrument en ait été cette lumière nocturne qui est symbolisée, qui est la Lune7.

Les idées de Claudel étaient pourtant très précises sur la manière dont il voulait que soit représentée cette scène. Dans une lettre adressée à Jean-Louis Barrault, datée du 8 juin 1943 (Jean-Louis Barrault est alors en pleine élaboration de la première mise en scène), il expose ainsi ses idées :

Pour l’Ombre double, je suis préoccupé. Des personnages réels me semblent bien mastocs et bien massifs. Le cinéma seul n[ous] donnerait la poésie nécessaire. Je verrais des corps aussi sommaires q[ue] possible et au contraire des bras et des mains très précis et dessinés.

Un bras et une main, celui de l’h[omme], q[ui] monte lentement pendant toute la durée de la scène et une autre main, celle de la f[emme], qui descend sur elle, la couvre, s’y enlace étroitement, puis la main de l’h[omme] se défait lentement, descend en suivant le contour de la f[emme] et le bras de cette dernière s’allonge en se balançant faiblement comme une palme dans la lumière tandis q[ue] la tête s’appesantit lourdement comme un fruit de l’autre côté… Pour le sentiment je voudrais q[ue] v[ous] v[ous] inspiriez d’un groupe magnifique en marbre de ma sœur Camille8 […].

Nous voyons donc ici que l’intention dramatique et dramaturgique initiale de l’auteur tend vers une interprétation littérale du personnage quant à son passage à la scène. Produit des deux ordres de réalité en jeu dans les personnages surnaturels, l’Ombre double réunit en elle l’humain et le surhumain, elle est la réunion à la fois matérielle et immatérielle de deux corps (matérielle car nécessitant en premier lieu la présence effective des deux corps en question). Pour Claudel, elle doit donc être une véritable ombre projetée sur un écran9, c’est ce qu’indique très clairement la didascalie d’origine : « L’Ombre double d’un homme et d’une femme, debout, que l’on voit projetée sur un écran au fond de la scène ». La « Version pour la scène » proposera même une « pantomime des ombres sur l’écran10 », et suggère que le texte soit prononcé par un duo, celui d’un homme et d’une femme11. En ce sens, on peut conclure que la nature de l’Ombre double est singulière dans la pièce : très différent des autres, ce personnage n’est pas même destiné à l’incarnation directe (l’Ombre double se rapproche en cela du personnage de la Lune dont nulle didascalie ne spécifie l’apparence qu’il doit prendre. Si l’on regarde la didascalie de la scène xiv, on peut même douter qu’il faille figurer la Lune autrement que par un éclairage spécifique12). L’information importante à tirer des propos de Claudel précédemment cités est la réserve qu’il émet quant à la possibilité d’utiliser des « personnages réels », entendons par là sûrement des acteurs. « Bien mastocs et bien massifs » les corps sont de trop pour cette incarnation de la plus fugitive des ombres.

Olivier Py est parvenu à réaliser cette volonté claudélienne, en résolvant de façon à la fois ingénieuse et littérale ce problème : en créant une ombre à partir de deux corps, avant de faire se retirer ces corps, qui laissent l’Ombre double intacte et prête à prendre la parole. Mais il nous faut être plus précise. C’est bien une ombre (une ombre chinoise plus exactement) qui s’adresse au public. Cette ombre s’est formée sous les yeux du spectateur, qui a pu voir les deux corps enlacés de Rodrigue et Prouhèze (Philippe Girard et Jeanne Balibar) se fondre en cette ombre, par un jeu d’éclairage. Le spectateur voit ensuite se séparer les deux comédiens, qui sortent de scène. Malgré ce départ des corps qui la composent, l’Ombre double non seulement demeure sur l’écran formé par le rideau – c’est la fixation de l’image – mais elle continue aussi à se mouvoir sur l’écran, ce qui fait d’elle non plus seulement une image mais un personnage, puisque, et c’est là l’élément essentiel de cette mise en scène de l’Ombre double, le spectateur a bien vu se retirer les deux corps de Rodrigue et Prouhèze. C’est que deux autres acteurs sont dissimulés derrière le rideau, corps auxquels s’étaient superposés ceux des interprètes de Rodrigue et Prouhèze. Ce procédé de substitution permet de concilier la présence et l’absence des corps, de montrer la fugitive étreinte tout en en proposant son prolongement fantasmé.

Antoine Vitez choisit quant à lui une tout autre voie pour mettre en scène cette Ombre double, en s’émancipant radicalement des consignes claudéliennes – il est en cela fidèle à sa conception de l’art de la mise en scène, qui consiste en une invention d’équivalences visant à redécouvrir une pièce donnée. Vitez fait en effet le choix de représenter l’Ombre double au moyen d’une comédienne (Jeanne Vitez). Femme vêtue de noire, elle s’avance sur la scène en gémissant, observée par la Lune (qui, très logiquement, conditionne sa possibilité en tant qu’ombre). En ces conditions, l’Ombre double est incarnée de la même manière que les autres personnages du Soulier, ce qui est une donnée importante pour le spectateur. Mais Vitez va plus loin, en poussant cette incarnation à un niveau supérieur, jusqu’à la dénoncer : l’on devine en effet sous le voile noir légèrement transparent dont est revêtue l’Ombre double, le jupon de l’assistante de l’Annoncier (Jeanne Vitez, donc), apparue au début de la pièce. De plus, si l’Ombre double entre sur scène dans la précipitation et les pleurs, l’Annoncier l’accompagne et lit la didascalie claudélienne, jetant par sa présence un certain discrédit sur ce personnage. C’est ainsi une dénonciation de l’artifice de l’incarnation qui se met en place dans cette scène, où tous ces procédés combinés créent un effet de distanciation, effet qui parcourt l’ensemble de la mise en scène de Vitez.

Ce faisant, Vitez s’éloigne de la poésie de l’image utilisée par Py, et, sans doute, de celle voulue par Claudel. Néanmoins, cette incarnation pointée du doigt a pour effet de renforcer l’expressivité pathétique du personnage qui prend ici les traits d’une Mater Dolorosa, et échappe ainsi au risque de perdre en intensité dramatique à force de non-matérialité. Ce choix d’incarnation extrême suit en réalité un principe dramaturgique que Vitez a mis en place lors de son travail de mise en scène du Soulier et qui consiste à « avou[er] l’incarnation », principe sur lequel nous souhaitons nous arrêter afin de montrer en quoi la représentation du surnaturel peut consister en un enjeu esthétique et idéologique.

13. Le Soulier de satin mêle aux personnages humains des êtres surnaturels : saint Jacques, et les autres saints, l’Ombre double, la Lune, l’Ange gardien ; on ne peut pas les représenter comme des vivants ordinaires. Ou bien, si on le fait, il faut que cela signifie qu’on a bien décidé de donner une chair aux idées. Le surnaturel devrait peut-être avoir l’air plus naturel que le reste. Alors on n’aura pas la tentation de rire si l’Ange est enrhumé, ou si saint Jacques trébuche. Chacun connaît les anecdotes de théâtre où les entités spirituelles, bravement jouées par les acteurs, perdent leur perruque ou leur pantalon et dévoilent leur corps. Nous avouerons l’incarnation13.

Partant du constat qu’« on ne peut pas [représenter les êtres surnaturels] comme des vivants ordinaires », Vitez arrive à la conclusion à première vue paradoxale que « le surnaturel devrait peut-être avoir l’air plus naturel que tout le reste ». Pourquoi Vitez suit-il une voie si paradoxale ? L’on comprend qu’il cherche à conjurer l’artificialité qui consiste à vouloir donner l’illusion que le surnaturel est surnaturel, tentative irrémédiablement vaine, et qui ne produit que le « rire ». Le rire que Vitez cherche à éviter est un rire moqueur, non un rire produit volontairement. Car l’Ange Gardien de la mise en scène de Vitez fera rire le public, mais sciemment. Provoquer le rire devient alors un moyen pour faire accepter le surnaturel : par une sorte de distanciation montrée, le rire remplace la convention, en substituant à des règles données un élément compris. Par un retournement dialectique, « avouer l’incarnation » revient à signifier l’écart qui existe entre ce concret montré, et l’abstraction signifiée. Écart poétique, l’aveu de l’incarnation est ce qui conduit les choix dramaturgiques de Vitez concernant les personnages surnaturels, et ce qui explique son choix quant à l’incarnation de l’Ombre double. Mais en montrant et en dénonçant l’artifice du théâtre, Vitez ne fait finalement que rejoindre l’esthétique claudélienne. L’on comprend que ce n’est pas tant la peur du « rire » qui préoccupe Vitez, que la peur d’une incrédulité méprisante, signe d’un échec poétique. En « avou[ant] l’incarnation », il crée un lien de connivence avec le spectateur, qui rejoint le lien mis en place par d’autres personnages tels que l’Annoncier ou l’Irrépressible. Plus que la dénonciation de l’illusion théâtrale, Vitez vise la mise en place d’un sentiment de communauté et d’homogénéité, non seulement avec les spectateurs, mais aussi au sein de la troupe de ses comédiens, et de l’ensemble de sa mise en scène. Ce monde qu’il porte ainsi sur scène est unifié et total : c’est le monde voulu par Claudel. Ce détour de mise en scène peut rejoindre in fine la poétique de l’auteur.

Les choix dramaturgiques très différents de Vitez et de Py, mais aussi ceux de Claudel et Barrault, permettent de toucher du doigt les enjeux de la représentation du surnaturel au théâtre. Ce problème et la façon dont il est résolu sont un élément révélateur de l’esthétique des metteurs en scène qui s’y frottent, et de leur compréhension de la pièce en général. Par le prisme de telles scènes, ce sont à la fois leurs sensibilités artistiques et spirituelles qui se laissent approcher, notamment lorsque les personnages surnaturels à mettre en scène appartiennent à l’imaginaire catholique, comme c’est le cas pour d’autres personnages du Soulier, tandis qu’ici nous avons affaire à une invention païenne et poétique, plus neutre mais aussi universelle.

« De qui dira-t-on que je suis l’ombre ? »

Le surnaturel comme problème audiodramaturgique

Si comme nous l’avons vu le passage du surnaturel à la scène nécessite l’affirmation de principes esthétiques et de choix dramaturgiques forts, sa mise en ondes repose sur d’autres enjeux. La différence essentielle du mode d’apparition et de représentation du surnaturel est que ce surnaturel radiophonique est acousmatique14: là où le texte désigne un émetteur surnaturel, et là surtout où la scène donne à voir la manifestation surnaturelle, la radio doit faire advenir et faire comprendre le surnaturel à partir d’un double vide, qui est un vide visuel (les seules images qu’elle produit seront mentales) et un vide sonore (le silence qui précèdera la réplique surnaturelle). N’ayant pas à composer avec l’incarnation et le trop plein de corps qu’elle suppose, la radio doit au contraire se satisfaire d’une absence de corps, absence qui peut favoriser l’imagination poétique et la suggestion du surnaturel, mais qui peut aussi les rendre difficiles : comment le média radiophonique peut-il signifier le surnaturel par le seul moyen du son ? Sur quels signes sonores peut-il compter, et à quelles conventions peut-il se raccrocher ? Là où des productions radiophoniques plus contemporaines pourraient proposer des réponses plus complexes et variées, la mise en ondes du Soulier de satin que nous étudions va nous permettre d’envisager le point essentiel de cette question.

L’archive dont il sera ici question est l’enregistrement radiophonique du Soulier de satin, mis en ondes par Henri Vermeil en 194215, interprété par Jean-Louis Barrault (Rodrigue), Ève Francis (Prouhèze) et Madeleine Renaud (Musique et Sept-Épées), entre autres. L’« illustration musicale » est signée Louis Aubert, et l’ensemble de l’enregistrement s’est fait dans les studios marseillais de la Radiodiffusion Nationale16. Ce Soulier de satin pour la radio est divisé en quatre émissions correspondant aux quatre Journées du Soulier, dans une version légèrement abrégée qui n’est pas encore la Version pour la scène sur laquelle travailleront ensemble Jean-Louis Barrault et Claudel pour la première mise en scène du Soulier par Barrault. Chaque Journée dure ainsi entre 1 h 19 et 1 h 33, pour un total de 5 h 28 d’enregistrement. Cette mise en ondes du Soulier contient des éléments très intéressants sur la question de l’intermédialité, ou plutôt de la transmédialité, particulièrement en ce qui concerne la narration et ses transformations selon le média dans lequel elle s’exprime. Mais si nous nous concentrons sur le cas de l’expression et de la signification du surnaturel, c’est sur l’usage de la musique par le média radiophonique qu’il nous faut particulièrement nous pencher.

Sans doute faut-il avant tout préciser que la musique et plus généralement les ressources sonores, sont très peu mises en œuvre dans cette mise en ondes du début des années 1940. D’un point de vue audiodramaturgique, les paroles des comédiens sont la plupart du temps les seuls signes dont disposent les auditeurs pour suivre la pièce, et les ambiances sonores sont très rares (l’une d’entre elles introduit la scène de la Négresse Jobarbara par exemple – mais l’on n’en dénombre guère plus de deux autres). La musique acquiert néanmoins ponctuellement une résonnance particulière à l’intérieur de la pièce, à l’occasion des scènes surnaturelles, scènes pour lesquelles elle est chargée de signifier le passage du monde réel de la fiction (le monde des personnages humains, mimésis du monde réel), au monde du surnaturel.

Signe de passage ou encore frontière sonore, elle est ainsi présente comme introduction et accompagnement des personnages de ces scènes. Alors que l’usage de la musique était « prévu » par Claudel dans les indications scéniques du Soulier de satin en ce qui concerne par exemple les Saints17, dans le texte original, nulle didascalie ne réclame l’insertion d’une quelconque mélodie pour les scènes de l’Ombre double et de la Lune. Nous pouvons déduire qu’une telle insertion est donc le résultat d’une initiative du metteur en ondes, fait rare dans cette occurrence radiophonique du Soulier, comme nous l’avons souligné. Il nous semble dès lors important de nous interroger sur ce qui a motivé cette initiative audiodramaturgique. À quoi correspond cette nécessité ressentie ? Nous pouvons avancer que c’est la nature de tels personnages qui exige que soit signifié de façon sonore un contraste par rapport au reste du personnel dramatique. Si l’on prend en compte le fait que les deux personnages de l’Ombre double et de la Lune sont les personnages les plus surnaturels de tous (en cela qu’ils ont le degré d’anthropomorphisation le plus éloigné par rapport aux autres), l’on ne peut que tirer la conclusion suivante : le personnage surnaturel ne peut pas apparaître de la même façon que le personnage humain. Venant d’un ordre de réalité différent, il doit en porter la trace, la preuve. C’est la crédibilité du personnage qui est en jeu, sa crédibilité non pas en tant que personnage réel (il ne s’agit pas non plus d’une question de vraisemblance, qui serait ici absurde), mais justement en tant que personnage surnaturel. Or, le média radiophonique, n’offrant à ces personnages que des voix pour se singulariser et pour se donner à connaître à l’auditeur, se trouve face à un problème intermédial de taille. Car quelle peut être la voix d’un personnage surnaturel ? Ici18, sa voix est nécessairement humaine, puisqu’il est interprété, mis en voix, par un comédien. C’est pourquoi le metteur en ondes a choisi d’introduire ces thèmes musicaux surnaturels, oniriques, qui ont valeur de signalisation du passage d’un monde à un autre, d’un ordre de réalité à un autre. La musique vient donc pallier un manque du média, en comparaison par exemple avec le média scénique, lequel peut compter sur la caractérisation du personnage par son costume. Par un système d’équivalence synesthésique, le costume du personnage surnaturel change de nature et c’est d’un vêtement sonore que ces personnages se drapent.

Nous traitons ici conjointement des scènes de l’Ombre double et de la Lune, car leur nature est proche, et leurs scènes forment ensemble comme une longue scène surnaturelle, au moyen de laquelle le drame reprend son souffle poétique. Cette union des deux scènes s’opère de façon particulièrement naturelle à l’écoute du Soulier, en raison justement de l’usage qui est fait de la musique comme frontière et transition. Des périodes musicales viennent introduire, accompagner et illustrer ces deux personnages en leurs monologues, mais d’autres détails viennent compléter cette mise en ondes du surnaturel.

Ces deux scènes sont tout d’abord introduites par le Révérend Père Roguet (lecteur-commentateur au statut fictionnel très intéressant mais sur lequel nous ne nous attarderons pas ici), qui d’une part présente et interprète déjà par ses commentaires le personnage de l’Ombre double qu’il qualifie d’« inouï » ; qui d’autre part installe une première atmosphère surnaturelle en donnant à sa voix des inflexions à la fois douces et solennelles, et quelque peu hallucinées. Pendant sa présentation du personnage « inouï » de l’Ombre double, la musique vient lentement se superposer à sa voix, et sert de transition avec le discours de l’Ombre double. Ce thème que nous entendons est dominé par des instruments à vent qui instaurent un rythme presque funèbre : c’est une musique de deuil, qui porte le deuil de l’Ombre double, qui est à la fois veuve et orpheline (« Mais moi, de qui dira-t-on que je suis l’ombre ? »). Un thème sombre vient tout naturellement accompagner ce personnage d’ombre – et l’on retrouve ici le voile noir qui cache le visage de l’incarnation vitézienne du personnage. Cette musique demeure en arrière-plan musical, comme une ambiance sonore, jusqu’à cesser à « Car ce qui a existé une fois fait partie pour toujours des archives indestructibles », qui précède l’ultime accusation douloureuse du personnage. Sitôt son monologue achevé, le thème musical initial reprend, se fond à nouveau avec les paroles du Révérend, et c’est dans son discours qui lie les deux scènes que la nouvelle musique cosmique vient se faire entendre. Un changement de ton s’opère alors : il ne s’agit plus de vents graves et solennels, mais des notes légères et aériennes d’une harpe, bientôt rejointes par des cordes, puis par tout un ensemble symphonique. C’est ici une très évidente tentative de figurer sonorement, musicalement, la lune – élément aérien et lumineux. Ce procédé en appelle à l’imaginaire collectif et aux propriétés topiques attribuées à cet astre nocturne. Une écoute colorée confère à ces deux scènes un dégradé de bleus, allant du bleu le plus foncé (l’Ombre double) à un bleu plus lumineux (la Lune) – mais il est vrai qu’il est toujours difficile de justifier objectivement de telles impressions.

À cette fonction de la musique comme signalisation du surnaturel, par opposition au naturel, il nous semble nécessaire d’ajouter un autre usage de la musique, en tant qu’élément contribuant à placer ces scènes dans leur intemporalité, ou plutôt dans leur temporalité englobante (en adéquation avec le contenu de leurs discours ; rappelons que ces personnages sont autant de traits d’union qui réunissent les autres personnages qui évoluent sur des continents différents, exemplairement Rodrigue et Prouhèze lorsqu’ils sont séparés). Ce changement de temporalité va de pair avec un changement de tempo, dans le rythme de ces scènes qui se fait plus lent, et surtout dans le débit des interprètes, cherchant encore une fois à signifier la différence ontologique de ces quelques personnages par rapport au personnel dramatique humain. Ceci est particulièrement perceptible dans la scène de la Lune, qui joue cette fois sur la voix en tant qu’instrument signifiant. « La Lune » parle de manière particulièrement posée lorsqu’elle prend en charge sa propre parole. Mais, lorsqu’elle rapporte dans un faux discours direct les paroles de Prouhèze ou de Rodrigue, son débit s’accélère et sa voix prend des intonations furieuses, proprement incarnées – que l’Ombre double n’avait pas. Nous pouvons donc avancer que la signification sonore du surnaturel passe à la fois par l’usage de la musique comme définition d’une ambiance surnaturelle, et par la voix comme moyen différentiel pour signifier le surnaturel par contraste d’avec le naturel.

« Au pays des ombres »

L’ombre d’une conclusion

Au pays des illusions et des conventions qu’est le théâtre, les personnages surnaturels occupent une place fondamentale dans la mise en place d’un monde poétique et imaginaire, et dans sa réception. Fantaisies de l’auteur, ils sont pris en charge par tous ceux qui entreprennent de les porter à la représentation, quelle qu’elle soit. Pour ces artistes qui poursuivent l’imagination d’un autre, il faut alors trancher parmi les possibles pour faire venir à l’existence ces personnages problématiques et essentiels, qui deviennent alors en un instant visibles et audibles, comme l’Ombre double « un instant hors de la terre lisible parmi ce battement d’ailes éperdues. »

 

Gabrielle STEMMER

 

 

 


1. SO, deuxième Journée, scène xiii, p. 366. Les citations dont nous préciserons par la source proviendront de cette même scène. Nous profitons de cette note inaugurale pour préciser que nous emploierons l’abréviation « SO » pour renvoyer aux paginations du Soulier de satin dans le t. II de la nouvelle édition 2011 du Théâtre de Claudel en Pléiade, et « VS » pour renvoyer à la « Version pour la scène » dans cette même édition.
2. Bien que les interprétations divergent sur ce point, l’on peut soutenir qu’ils ne font que se croiser, peut-être même à distance, tels Rodrigue et Camille (deuxième Journée, scène xi), formant eux aussi une fugitive Ombre double. Sur cette question, se reporter à Bernard Hue, Rêves et réalités dans Le Soulier de satin, Rennes, PUR, 2005.
3. Ainsi le Chœur de l’Ours et la Lune manie-t-il l’« isolateur », « néant conventionnel » qui décline cette suspension du temps sur le mode comique (Th II, p. 206).
4. Notons que dans la « Version pour la scène », les deux personnages seront effectivement présents sur scène (cf. VS, p. 1236), ce qui renforce le rôle unifiant de ces scènes surnaturelles.
5. Claudel exprime sa fascination pour cette image d’un « corps à corps des amants ne fût-ce qu’une seconde dans l’impossibilité » dans son commentaire Sur Racine, et en fait le personnage principal d’un « mimodrame » composé pour la scène japonaise, La Femme et son ombre (en 1922, Th II, p. 533).
6. SO, première Journée, scène vii, p. 290.
7. Mémoires improvisés, Paris, Gallimard, 2001, p. 288-289.
8. Il s’agissait du groupe « Sakountala ».
9. Par les moyens du cinéma, Manoel de Olivieira peut réaliser très simplement ce désir claudélien dans son film du Soulier de satin, et c’est ainsi qu’il représente cette scène : par une pantomime de deux ombres sur un écran, et un texte déclamé par deux voix-off mélangées.
10. VS, p. 1235.
11. Il s’agit des voix de la « plainte de l’Épreuve », ajout expressif de cette « Version pour la scène ».
12. « L’Ombre disparaît et l’écran n’est plus occupé pendant toute la durée de cette scène que par une palme de plus en plus indistincte et qui remue faiblement. » SO, p. 360.
13. Antoine Vitez dans Le Théâtre des idées, Paris, Gallimard, 1991, p. 434.
14. Selon la définition qu’en donne Pierre Schaeffer, c’est-à-dire pour un élément sonore (voix ou bruit) dont on ne voit pas la source.
15. Le Journal de Claudel nous permet de dater sa diffusion, qui s’est déroulée du 30 avril au 4 mai 1942. On trouve aussi trace de cette expérience radiophonique dans la correspondance entre Claudel et Jean-Louis Barrault, notamment dans une lettre de Barrault à Claudel, datée du 4 mai 1942.
16. L’ensemble de cet enregistrement est disponible sur le site de l’INA.
17. SO, troisième Journée, scène i, p. 373 : « Rien n’empêche qu’il y ait un peu de musique indistincte pendant cette scène. Supposons l’organiste qui arrange son instrument, d’une manière pas trop désagréable. »
18. Nous disons « ici », car on aurait pu imaginer divers stratagèmes de modification de la voix humaine, ce qui aurait réglé différemment ce problème intermédial, mais ce ne fut pas le cas dans cet enregistrement.

 

 

 

Bibliographie

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