Bulletin de la Société Paul Claudel, n°179

Sommaire

Monique CONSTANT – Hommage à Paulette Enjalran, 3
Paulette ENJALRANPaul Claudel. Introduction et table des matières de l’ouvrage, 6
Claude-Pierre PÉREZ – « Paul Claudel » par Pierre Lasserre, 16
Pierre LASSERRE – « Paul Claudel », 17
Jacques HOURIEZ – Claudel et la presse, 23
– Jeunes chercheurs, 39
Béatrice Adloff, Christèle Barbier, Marion Bex, Aurélie Champetier, Élisabeth Coulomb, Olivia Désert, Raphaèle Fleury, Guillaume Fortin-Gréhal, Bei Huang, Séverine N’Guyen, Alexandre Solignac
– En marge des livres
Claude-Pierre Pérez : Lettres de Paul Claudel à Jean Paulhan, 60
Monique Le Roux : Claudel poète du XXe siècle de Anne Ubersfeld, 61
Antoinette Weber-Caflisch : Rêve et réalité dans « Le Soulier de satin » de Bernard Hue, 63
– Enregistrement
Michel Lioure : Une visite à Brangues, 72
Louis Fournier : Une visite à Brangues, Claudel parle, 73
– Notes de lecture
J.-H. et E. Donnard : Dagen Vender, 75
Yvan Daniel : Guimet et Claudel : confluences japonaises à Lyon, 76
– Manifestations du cinquantenaire
– Rencontres de Brangues : Hélène de Saint Aubert : Pour un théâtre poétique, 78
– Festival d’Avignon : Hubert Martin : « L’Échange » à Avignon, 79
– Festival de Cormatin et d’Izieu : François Claudel : « L’Échange » à Cormatin et à Izieu, 79
– Festival des Nuits de Joux : Alain Beretta : La création de « Monsieur Paul et l’arc-en-ciel », 80
– France Culture : René Sainte-Marie Perrin : Archipel Claudel, 82
– Retour au Musée La Fontaine de Château-Thierry : Xavier de Massary et Jacques Parsi : « Visages de Paul Claudel », 84
– Abbaye Saint-Martin de Laon : Gilles Muller : « Les amants stellaires, une mise en image du Soulier de satin », 87
– Programme du cinquantenaire de la mort de Paul Claudel (suite), 90
– Annonces, 95

 

« Paul Claudel » par Pierre Lasserre

Le nom du critique Pierre Lasserre (1867-1930) est connu des lecteurs de Claudel. On sait que celui-ci a montré de l’humeur des jugements de celui-là, et qu’il en a tiré vengeance en lui faisant une place dans Le Soulier de Satin sous les traits du « professeur Pedro de Las Vegas, plus compact que le mortier »(1).

Auteur d’une thèse qui a fait date sur Le Romantisme français (Mercure de France, 1907), d’ouvrages sur Nietzsche (La Morale de Nietzsche, 1902) et sur Renan, puis, en 1920, des Chapelles littéraires (Claudel, Jammes, Péguy) chez Garnier, Lasserre a tenu une « Chronique des lettres » dans L’Action française, avant de s’éloigner, dès 1912, des vues de Maurras et de ses amis.

C’est pourtant dans le « journal du nationalisme intégral » qu’il publie, le 6 mai 1911, un article sur Claudel qui est souvent mentionné mais qui (à l’inverse des Chapelles littéraires, désormais en accès libre sur le serveur Gallica de la BnF) est aujourd’hui peu accessible. Au-delà des informations qu’il apporte sur la réception de Claudel, cet article présente un intérêt esthétique et politique certain. C’est pourquoi nous le reproduisons ci-dessous. On verra en particulier qu’il ne se résume pas à une charge anti-claudélienne, comme on le dit souvent ; et que, sans se départir d’un ton de maître d’école morigénant un élève doué mais peu docile, Lasserre tend à Claudel une main que celui-ci ne saisira pas.

À cette date, L’Otage vient d’être publié dans la NRF (décembre 1910, janv.-février 1911) et il doit bientôt paraître en volume (achevé d’imprimer du 26 mai 1911). Le samedi 29 avril, Lasserre s’en est pris aux « vrais génies français, chers à une élite allemande », et a terminé sa chronique en évoquant les « esprits gauches, incomplets, difformes (avec une certaine intensité) […] à demi étrangers au génie et au naturel de la langue, mêlant à l’expression de la pensée les empreintes plus ou moins chaotiques de toutes les convulsions qui l’enfantent. Les lettres allemandes se trouvent de plus en plus de plain-pied avec eux. Je pense à Émile Verhaeren. Et je pense aussi, oui, oui, à… Paul Claudel dont l’oeuvre n’est pas seulement admirée en Allemagne, mais compte chez nous un nombre croissant de fanatiques (et de snobs) de très réelle qualité ».

Cette chute fin avril explique cette attaque le samedi suivant, 6 mai…

Claude-Pierre PÉREZ

 


Note 1 : Th. 2, p. 793.

 

« Paul Claudel »

Le vif mouvement d’humeur que j’ai montré dans ma dernière chronique contre Paul Claudel m’a valu des lettres de protestation auxquelles je n’ai pas été insensible bien que je les prévisse. Elles viennent de jeunes amis qui applaudissent ou participent à nos campagnes en faveur des traditions classiques et françaises et qui admirent le génie de Claudel. Y aurait-il contradiction entre ces deux sentiments ? Après les explications que j’ai reçues, je ne le crois pas. Il s’agit de s’entendre. Cette admiration n’est pas aveugle aux très gros défauts de l’auteur de l’Arbre. Et moi, je ne dis pas du tout qu’elle n’ait pas où largement se prendre chez lui. Je ne pensais pas l’avoir blessée. Je ne suis pas fâché de l’avoir harcelée.

Il y a peu de temps encore, je ne connaissais guère Paul Claudel. Et j’ignorais tout à fait son oeuvre principale, l’Arbre, recueil de cinq drames fort longs (librairie du Mercure de France) auxquels s’en est récemment ajouté un sixième : l’Otage, publié dans la Nouvelle Revue Française. La tête pleine des louanges hyperboliques de Paul Claudel (notre Dante, notre Eschyle, etc…) que j’avais rencontrées en divers endroits, je me mis à la lecture de Tête d’Or, par débute cette série. Ma première impression fut la stupeur, et peu à peu la fureur y succédait avec la migraine. J’avais atteint la fin du premier acte, qui compte trente pages, texte serré, et je n’avais rien compris, ce qui s’appelle rien. Je ne suis pourtant pas un esprit paresseux et le limpide Voltaire n’a pas été ma nourriture exclusive. J’ai lu le second Faust, Zarathustra, la Dame de la mer, le Canard Sauvage, Axel, et, s’il m’est advenu de trouver qu’en telle ou telle de ces oeuvres, l’os était beaucoup trop gros et trop dur, et ciselé avec trop de complication pour la moelle, c’est-à-dire que le laborieux artifice de l’appareil symbolique y enveloppait souvent l’idée jusqu’à l’obscurcir en même temps qu’à la glacer, néanmoins je n’ai jamais éprouvé à dégager de la figure le sens le plus probable un invincible embarras. Claudel me réservait cette défaite. Toute l’allure, tout le procédé mystérieux de son langage, de son développement, de son style, me disaient bien qu’il y avait un sens figuré à chercher. Je ne parvenais point à le soupçonner. Cette suite de paroles énigmatiques, intenses en quelque sorte, mais incoordonnées, c’était pour moi comme un défilé de chaos où d’étonnantes lueurs se mêleraient indiscernablement à des traînées de nuages. Certes, je n’étais nullement insensible à la force de telles pensées détachées dont la signification propre s’accusait même avec un excès d’…énergie ; ainsi cette sentence schopenhauerienne sur l’amour :

Vois-tu, ce goût – pour cet être qui a un visage d’enfant – est étrange ; je pense que leur gaîté n’est pas vraie. Elles grossissent quand elles sont vieilles et elles deviennent comme des poules.

Je ne dédaignais pas non plus le charme éclatant, quoique un peu barbare, de ces « victoires qui passent sur le chemin comme des moissonneuses, avec leurs joues sombres comme le tan – couvertes d’un voile et appuyant un tambour sur leur cuisse d’or ». Mais ni ces pensées, ni ces images ou courts tableaux qui « passaient » en jetant un éclair, je n’en apercevais le lien. Ce qui était visible, c’est que l’auteur exprimait pêle-mêle et mettait bout à bout, sans se gêner le moins du monde, sans prévenir, sans s’en rendre peut-être assez compte, des généralités philosophiques et morales qui lui traversaient ou lui mordaient l’esprit, des élans, des « moments » de rêverie lyrique personnelle (tout cela curieux et plein d’une sorte d’accent), et enfin des propos plus spécialement destinés à peindre le caractère et le rôle des deux personnages qui dialoguent de cette manière singulière : un certain Cébès, un certain Simon Agnel, qu’on ne distingue pas suffisamment l’un de l’autre, car il faut sans cesse retourner la feuille pour vérifier lequel parle. Ajoutez le procédé typographique sibyllin auquel Claudel paraît tenir beaucoup. Il écrit en prose et coupe ses phrases en espèces de « vers libres » sans rime ni mètre (la coupure est parfois faite au milieu d’un mot). On croirait une traduction de poésie étrangère. C’est harassant.

Telles furent mes impressions en entrant dans ce que j’appellerai l’enfer de Claudel. Je les note en toute franchise, non comme miennes, mais comme significatives et probantes. N’avais-je pas le droit d’être en colère ? Je donnai cours ici même à ce sentiment, qui ne m’a point passé, mais auquel il s’en est ajouté d’autres, parce que je n’ai point abandonné la partie. Il n’était, je l’avoue, que de continuer pour trouver mieux, pour rencontrer au milieu de ce pandémonium de littérature barbare, je ne dirai pas du beau (le beau suppose une harmonie générale) mais du puissant et du saisissant, même du grand. Ce que j’ai particulièrement dit du premier acte de Tête d’Or garde sa part d’application profonde par rapport à tout ce que Claudel a conçu et écrit depuis. Un écrivain, qui s’est tellement abandonné à la grave erreur de chercher le summum de l’expression, par-delà toute règle d’intelligibilité et d’harmonie, dans cette débauche d’impressionnisme métaphysico-matériel, ne paraît devoir jamais reconquérir le goût, cette faculté d’un esprit complet. Mais il a pu se conserver et il peut se développer en lui d’autres forces partielles. C’est ce qui est arrivé à Claudel. Sans rompre, comme artiste, l’attache avec son chaos et sa confusion primitive, il leur a arraché des éléments de pensée et de sentiment de plus en plus nombreux qu’il a réunis et condensés ensemble durement, mais magnifiquement, de telle manière qu’il en résulte au milieu d’ouvrages impossibles, de superbes morceaux. Dans le cadre conservé (si j’ose cette violence au langage) de son incohérence esthétique, dans l’onde mouvante et nébuleuse de ses indéfinissables et irréalisables « sujets » de drames, il se forme, il se cristallise sans cesse des blocs souvent étendus d’une éloquence pleine, solide, un peu métallique, chargée d’ardeur et de substance. C’est sa nature qui parle et se dégage là, nature mêlée, mais fort supérieure aux dépôts trop profonds d’une éducation intellectuelle et littéraire détestable, anarchique ; nature elle-même intellectuelle, abstraite, en même temps que lyrique, nature de philosophe, de moraliste, concentrée, un peu visionnaire et simpliste, servie par une sensibilité sans souplesse, mais passionnée, par une imagination cassante, mais éclatante.

Du très mauvais donc d’une part, et, d’autre part, sinon du très bon, du moins du très puissant, du très noble, auquel s’attache je ne sais quel grand pathétique moral dont l’âpre poésie touche profondément et légitimement la jeunesse. Tâchons de pénétrer à la source de l’un et de l’autre.

On ne verra que le mauvais si l’on prétend (comme on en aurait en toute rigueur le droit) ne passer aucunement condamnation sur ce qu’il y a d’avorté, de non viable dans le dessein général, dans la conception d’ensemble qui inspire chacun des ouvrages de Claudel. De vrais grimoires apocalyptiques… l’Otage, jusqu’à un certain point, excepté. L’action dramatique s’engage, non entre des individus, mais entre des idées, des entités abstraites, symbolisées par des personnages dont les noms fantomatiques accusent la demi-irréalité eux-mêmes. Ces idées sont malheureusement moins faciles à reconnaître et à définir, que celles qui remplissaient les « mystères » du moyen âge et s’appelaient Sapience, Charité, Théologie, Prud’homie. Elles me font l’effet d’avoir été découpées dans de la brume scandinave par un esprit dont la belle violence et l’irréductible latinité s’acharnent ardemment à extraire de ces immenses vapeurs dont il n’a pas dépendu de lui de n’être point nourri, du concret, du tangible, du plastique et de l’oratoire. Essayez de les embrasser d’un regard, de comprendre comme un tout l’oeuvre elle-même, vous y échouerez, vous ne fixerez point les contours flottants de ce contenu démesuré.

Ainsi, qui m’expliquera Tête d’Or, la Ville ou la Jeune fille Violaine ? Simon Agnel, un gueux, un outlaw (me semble-t-il), devient, sans qu’on sache pourquoi ni comment, le chef d’une armée de guerre civile qui renverse le Roi ; sous le nom de Tête d’Or, il se fait César universel, il domine le monde ; blessé à mort sur un champ de bataille, il rencontre la Princesse, fille du Roi détrôné et tué par lui ; elle erre misérable et mutilée ; il lui rend hommage, s’unit à elle et ils meurent, tandis que l’armée de Tête d’Or remporte la victoire. Entendez, encore une fois, que cette fable rude que je dégage avec beaucoup de peine d’un fastueux fatras, ne doit pas être prise à la lettre, mais est tout symbole. Or je m’évertue vainement à saisir le symbole. Il me fuit. À moins toutefois (cette hypothèse me vient à l’instant), à moins que ce symbolisme lui-même ne soit fallacieux et ne cache, au lieu de quelque haute doctrine de métaphysique ou de philosophie de l’histoire, Paul Claudel en personne tout simplement ; à moins, dis-je, que cette prétendue création littéraire ne soit d’une prodigieuse « subjectivité », que la vraie matière n’en soit encore flottante dans les eaux obscures du moi et que l’auteur n’ait omis d’inscrire en tête de l’ouvrage et de chaque phrase le « je » qui eût donné la clé de tout. Claudel a commencé par l’individualisme anarchique ; il en a fait sa métaphysique et sa religion ; il a dit à l’univers : « Je ne reçois de toi aucune loi ; tu n’en as d’autre que ma pensée, mon caprice. Je suis tout. Je suis Dieu ». Puis, avec les meilleurs de sa génération, il s’est dégrisé de ce vertige des vertiges, si commun dans la malheureuse jeunesse littéraire de 1890, il s’est remis à sa place, il est redevenu humain, il s’est incliné sous le droit et l’enseignement de la tradition. Tête d’Or fait la révolution universelle au nom de lui-même, puis il s’agenouille devant le droit de la royauté héréditaire et du passé national. Claudel est Tête d’Or. Si cet ouvrage veut dire quelque chose, il ne veut dire que cela. Mais il le dit d’une manière embrouillée, détournée et qui vaticine sur le tout sans expliquer rien. Dans vingt ou trente ans, quand l’âme de notre pays sera définitivement nettoyée des miasmes de ces billevesées tragiques et malades, on ne pourra plus comprendre du tout à quoi se rapporte cette vaste allusion ténébreuse. – Je parlerai tout pareillement de la Ville, où, à côté de Besme, qui représente, si je ne m’abuse, la science, l’industrie et la civilisation matérielle, de Coeuvre, qui est le Poète (probablement) et de Lâla, une femme, qui signifie je ne sais absolument quoi (Koundry dans Parsifal de Wagner est plus claire), « Avare », cousin germain de Tête d’Or, est l’Individu qui s’érige contre tout et tous. Avare fait sa révolution, brûle la ville, rase l’histoire et il lègue l’empire à son fils Ivors. Arrive un évêque, mitre en tête, Évangile en main. Ivors, sans difficulté aucune, se range avec tout le peuple sous la houlette catholique. Tout cela, bien qu’enveloppé d’un univers de paroles, se juxtapose brutalement et inintelligiblement. Et tout cela veut dire que Claudel est passé de l’esprit révolutionnaire absolu à la foi catholique et romaine. Je comprends donc en définitive. Mais je maintiens mon droit à ne point comprendre.

Et voici maintenant, contre cette critique qui n’a rien ménagé, la revanche, la forte revanche de Claudel. Encore aujourd’hui, égaré comme artiste, presque autant qu’il le put être jadis par la pensée et le sentiment, Claudel, au temps déjà de cette totale déviation, possédait des dons vigoureux, brillants et sains, qui luttaient impérieusement avec elle et prodiguaient leurs heureux éclats au milieu de ce bric-à-brac. Sous le nuage et dans le manque de méthode de la pensée, quelle acuité curieuse, quel feu ! Au sein de la chimère individualiste et de ses fantastiques suggestions, quelle absence de niaiserie ! Claudel divinisait peut-être Claudel, il ne divinisait pas l’Homme. C’est beaucoup moins grave. Ah ! ce n’était pas un esprit fade et mou ! Ces drames mêmes, ces drames amorphes sont développés, poursuivis et comme poussés avec une intensité de passion étrange, de telle sorte que lorsque ces affabulations plus qu’aventureuses prennent sur un point ou un autre forme de situation concrète, le poète retrouve à ce contact de la terre ferme, une véritable force de dramaturge, de moralité et d’orateur. C’est ici que le bien louer serait le citer.

Les plaintes et les cris de la Princesse chassée et dénuée de tout dans Tête d’Or, son dialogue avec le misérable vagabond qui la torture et lui met le pied dessus pour lui faire expier son ancien rang, voilà qui est d’un poète très profondément pénétré du rythme d’Eschyle. J’allèguerais bien d’autres exemples. Dans la Jeune fille Violaine, si je ne comprends pas et me refuse (par saine critique) à l’effort de comprendre quel rapport ont avec l’action soit le personnage un peu fuligineux de Pierre de Corum [sic], qui semble un chapitre de théologie ou de mystique ambulant, soit le voyage du père en Amérique, je vois une action véritable, poétique et réelle à la fois, et traitée avec un art dans lequel il y a du Maeterlinck, mais plus encore du Shakespeare. Enfin, dans l’Otage, des ouvrages de Claudel le plus intelligible (il l’est presque complètement, on n’y trouve plus ces masques équivoques du moi) si les personnages et les caractères sont d’une rigidité bien éloignée de la vie, l’idée, le développement et le dénouement de ce drame à demi-abstrait, à la fois historique, politique et moral, sont quelque chose de vraiment dense et qui a dure et pénible, mais imposante autorité sur le lecteur. Ici Claudel s’inspire exclusivement d’une conception de l’ordre moral conforme au dogme catholique et d’une idée toute monarchique de l’ordre de la cité. Dans la scène où, pour le salut de l’Église, un prêtre demande à une jeune fille un sacrifice infiniment supérieur à son devoir, il y a certainement du sublime. Claudel, par l’étude des maîtres de la pensée catholique, de saint Thomas notamment, reconstitue la hiérarchie dans sa cervelle. Mais il y avait toujours eu plus cette cervelle, d’ailleurs habituée de bonne heure aux réalités (Claudel a suivi la carrière consulaire) une pierre de bon sens sur laquelle ce nouvel édifice a posé [sic].

Son art, qui d’un tumultueux et laborieux vagabondage, semble passer à une sorte de roideur et de durcissement, demeure encore barbare. Mais c’est une chose bien significative que cet écrivain, qui a commencé par la déliquescence esthétique et dû adorer Mallarmé, sortant de là, non directement par l’acquisition du goût, mais de manière indirecte, par le recouvrement de la santé philosophique et morale, par la conversion catholique, arrive au procédé littéraire du moyen âge et confie de grandes pensées à des figures qui n’ont pas la souplesse de la vie, mais la majesté un peu figée, la rigidité de l’abstraction.

L’Otage, c’est comme de la scholastique eschylienne. Haute preuve de la sincérité de cette nature.

Sa nature, Claudel même, voilà je le comprends bien, ce que mes jeunes correspondants craignaient que je ne traitasse dans un sentiment trop éloigné du leur. Mais j’y vois, j’y sens très bien le grand. Le dirai-je ? Au point de vue de l’art même, si je les prie de ne pas confondre le plaisir du beau avec un exercice ascétique, je n’oublie pas moi-même la différence de ce qui devrait être et de ce qui peut être aujourd’hui. Parce que nous avons fait tout notre possible pour flétrir les prestiges romantiques et en dégager le poison, on prétend que nous voulons improviser une renaissance classique. On se moque. Nous avons essayé, d’après nos maîtres, les grands poètes humains et les vrais critiques, de libérer, littérairement parlant, la vie, de lui fermer le chemin de la stérilité et de la décomposition, de lui montrer la voie de l’ordre. Nous n’avons pas follement imaginé de la susciter. La nature, le temps, l’atmosphère nationale assainie, l’ordre social rétabli s’en chargeront. Il y aura une renaissance classique en France. Claudel est sans doute une étape. Ad augusta per angusta. Angusta veut dire la terrible caverne du puissant cyclope Claudel – un cyclope baptisé. 

Pierre LASSERRE

 

Annonces

Annonces de théâtre

–  8 et 9 juillet 2005, Partage de Midi dans le cadre d’un travail de fin d’études à l’école théâtrale « Les cours Florent ». Mise en scène de Olha Kobryn ; Ysé : Olha Kobryn ; Mesa : Nicolas Fréville ; Amalric : Anthony Bretout ; De Ciz : Michele Rizzelo.

–  Le 18 juillet 2005 à Montpellier, Jeanne d’Arc au bûcher de Arthur Honegger et Paul Claudel, dans le cadre du festival de Montpellier, diffusion sur France-Musique. Voici ce que nous écrit à son propos Pascale Honegger : « J’ai eu beaucoup de plaisir à l’entendre et à la voir. Je suis toujours un peu inquiète des mises en scène, mais celle de Jean- Pierre Scarpitta est excellente : peu de moyens et beaucoup d’efficacité grâce à l’imagination, à l’austérité et à un sens de la beauté, je dirai presque aristocratique, qui m’a beaucoup plu et touchée. »

–  21, 22 et 23 septembre 2005 au Théâtre du Conservatoire de Paris, L’Orestie d’Eschyle, dans la traduction de Paul Claudel. Mise en scène Anne-Lise Heimburger.

–  Du 11 au 23 octobre 2005 au Studio-Théâtre d’Asnières-sur-Seine, L’Échange, première version (voir compte-rendu p. 79-80).

–  10 novembre 2005, Le Chemin de la Croix de Paul Claudel à l’Abbaye aux Dames de Caen. Mise en espace d’Antoine Juliens, dans le cadre d’un colloque sur la parole et la spiritualité organisé par le centre d’études théologiques de Caen.

–  Du 2 au 10 novembre 2005 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne et du 9 au 22 décembre au théâtre des Gémeaux à Sceaux, L’Annonce faite à Marie, mise en scène de Christian Schiaretti et musique d’Yves Prin.

Journées du patrimoine

–  Le 17 septembre au château de Brangues, dans le cadre des journées du patrimoine : « L’étonnant parcours de Paul Claudel », causerie récital de Marie-Rose Carlié. Avec la participation de François Claudel. Arrangements musicaux de Jean-Claude Fèvre : Création du Monde (Darius Milhaud), Jeanne d’Arc au bûcher (Claudel-Honegger), Cantate pour Pan et Syrinx (Darius Milhaud).

Expositions

–  Au musée « Claudel Stendhal » de Brangues, accueil de l’exposition sur affiches réalisée par l’adpf pour le ministère des Affaires étrangères, « Claudel écrivain-diplomate ». Voir bulletin 178, p. 73.

–  Été 2005, à l’Opéra de Paris, « Derain, décorateur de théâtre ». Exposition d’un tableau de Derain intitulé l’Annonce. Ce tableau prêté par le musée d’art moderne de Troyes est un projet de décor conçu pour une Annonce faite à Marie qui devait être jouée par la troupe d’Arsène Durec à Mayence et en Scandinavie. Le projet ne s’est pas réalisé.

Conférence

–  Jeudi 17 novembre 2005 à 18 heures, à la Maison de la culture du Japon à Paris, « La tragédie grecque et le nô, lettre à Paul Claudel », par Philippe Brunet.

CD et DVD

–  Captation de l’oratorio théâtral Mystère de la conversion de Paul Claudel, une création d’Antoine Juliens présentée à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 23 février 2005. Pour le commander, s’adresser à Pascal Faure : p.fa@infonie.fr Prix : 10 euros.

–  « Jack Yantchenkoff redonne la parole à Alain Cuny ». Mise en musique de neuf textes de poètes récités par Alain Cuny, dont « La Muse qui est la Grâce » (Cinq Grandes Odes).

CD disponible auprès de Delta.Vision@wanadoo.fr

Agrégation de Lettres modernes et de Grammaire classique

–  Le 20 octobre 2005, parution de Tête d’Or, deuxième version, édition de Michel Lioure, Folio Gallimard, n° 96.

 Assemblée générale

–  Le 30 juin 2005 a eu lieu à Besançon l’Assemblée générale de l’Association pour la Recherche Claudélienne, au cours de laquelle le président Pascal Lécroart a lu et commenté la correspondance de l’année 1938 entre Claudel et Stravinsky, conservée à la BNF et à la Fondation Paul Sacher de Bâle.