Bulletin de la Société Paul Claudel, n°189

Sommaire

Renée NANTET et Antoine VITEZ
– Correspondance 1975-1990, précédée d’un avant-propos de Jeanne Vitez, 2
– Jean-Pierre Léonardini : Réflexions d’après-lire, 28

Thierry GLON
– Théophanique Tête d’Or, 29

Michel LIOURE
– À propos du « théophanique Tête d’Or » de Thierry Glon, 43

Antoinette WEBER-CAFLISCH
– Cheminements de l’imagination claudélienne, 47

En marge des livres
– Yvan Daniel : Bei Huang, Segalen et Claudel, 60
– Claude-Pierre Perez : Claudel et le Japon. Cinquantenaire de la mort de Claudel, 61
– Mireille Ruppli : Paul Claudel, les manuscrits ou l’œuvre en chantier, 62

Compte rendu musical
– Jean-Noël Segrestaa : Les surprises d’un disque à deux faces (Joseph Samson, Psaumes), 65

Point de thèse
– Luca Barbieri : L’Ode aux Muses de Paul Claudel, 68

Assemblée générale, 70
Bibliographie, 74
Annonces, 76

Nécrologie
– Hommage à Madeleine Milhaud (1902-2008) par Jean Roy, 78
Rencontres de Brangues, 81

 

Cheminements de l’imagination claudélienne

Le romancier Léon Gozlan relate dans ses souvenirs comment il a suggéré à Balzac qui était en panne d’inspiration de parcourir les rues de Paris pour y découvrir, déposé sur les enseignes d’un artisan ou d’un commerçant, le nom qui conviendrait au principal personnage du « petit poème de mœurs » qu’il venait d’achever et qu’il s’apprêtait à publier[1]. Le héros de ce bref roman, n’avait pas encore été baptisé, ou peut-être l’avait-il été sans conviction. À en croire les explications de Gozlan, il lui manquait encore un nom qui soit « significatif, qualificatif et explicatif » du personnage, c’est-à-dire qui « réponde à tout », – « à sa figure, à sa taille, à sa voix, à son passé, à son avenir, à son génie, à ses goûts, à ses passions, à ses malheurs et à sa gloire »[2]. Ce baptême tardif devait sur­tout conférer une intéressante dimension fatale à la figure sans présence qui est au centre d’un récit sans action, comme si un nom marquant entraînait nécessairement une destinée remarquable, ou plutôt pouvait en tenir lieu[3].

La suggestion de Gozlan étant immédiatement acceptée, Balzac en­traîne son ami dans une quête épuisante à travers les rues de Paris, que celui-ci raconte en la dramatisant dans toutes les règles de l’art. Finale­ment, étant tombé rue de la Jussienne sur ce qu’il cherchait, Balzac pourra rédiger le prologue qu’il placera en tête de Z. Marcas : une évoca­tion synthétique et poétique du caractère et de la destinée du person­nage éponyme, fondée sur une succession époustouflante d’interpréta­tions du nom si heureusement rencontré.

Or ce nom, raconte Gozlan, était celui d’un tailleur. C’est ici que le lecteur du Soulier de satin sursaute. En effet, il se souvient que Jacques de Bourbon-Busset raconte à son tour comment, à l’affût de noms figurant sur les enseignes, Claudel parcourait les rues de Paris… il est vrai, en autobus. On verra dans cette notation circonstancielle une variation mé­liorative de la quête pédestre balzacienne qui sert à l’évidence de réfé­rence à Bourbon-Busset, ou à Claudel, ou peut-être à tous deux : « L’au­tobus donne à voir les enseignes. À pied, on les aperçoit mal. Claudel m’a conté que Prouhèze lui avait sauté aux yeux, dans un autobus. C’était le nom d’un tailleur… »[4] L’évocation du tailleur signe la relation entre le récit de Gozlan et celui de Bourbon-Busset. Le mémorialiste par­le-t-il d’un tailleur parce que le récit de Gozlan, qu’il connaissait, a con­taminé inconsciemment son souvenir ? Ou a-t-il l’intention de montrer, en s’y référant au contraire volontairement, qu’il n’est pas dupe des con­fidences de Claudel ? Celui-ci aurait-il cherché à dévoiler son tropisme balzacien ? Quelque sens qu’on lui donne, il semble bien que l’anecdote ait eu de l’importance pour Claudel. En effet, on en trouve une variante dans sa correspondance : Prouhèze a reçu le nom « d’un charbonnier de la rue Cassette »[5], assure-t-il.

Que Claudel ait réellement voulu imiter le grand romancier en re­prenant son procédé, ou qu’il se soit borné à le prétendre, importe peu. L’historiette a retenu son intérêt, voilà ce qui doit éveiller le nôtre. Sans doute est-ce parce qu’elle fournit une sorte de mythe qui peut rendre plus acceptable pour le sens commun la tradition cratyléenne pour laquelle le flamboyant prologue de Z. Marcas milite au contraire sans retenue.

Le cratylisme qui affirme la convenance naturelle des mots et des choses, c’est-à-dire qui postule une conception spiritualiste de l’ordre cosmique[6], a attiré Claudel sans tout à fait le séduire. Il l’a traité plutôt comme une croyance d’artiste[7] ; par exemple, en interprétant des mots écrits dans notre alphabet comme s’il s’agissait de logogrammes[8]. Son goût si développé pour les jeux de mots trouve là un nouveau territoire à s’annexer. On comprend donc que la conjonction contradictoire du témoignage de Gozlan et du prologue de Z. Marcas ait pu lui plaire. Balzac en effet ne s’est visiblement pas soucié du fait que le cratylisme de son prologue soit en réalité infirmé, et non confirmé, par le scénario de la trouvaille soumise au désordre du hasard. C’est en ce sens égale­ment qu’aura conclu le poète assis dans son autobus – tel l’enfant jadis dans son arbre : le nom / d’un tailleur / d’un charbonnier / ne peut faire l’affaire qu’investi par l’imagination. Gozlan quant à lui voit dans la révélation de ce nom préexistant objectivement au personnage, le genre de rencontres à la fois fortuites et nécessaires dont s’émerveille­ront les surréalistes. Au contraire, ce sont justement les efforts consacrés à faire coïncider la graphie et le sens de mots suggestifs, par exemple dans « Idéogrammes occidentaux », qui montrent qu’aux yeux de Clau­del la trouvaille est au moins autant celle des interprétations que celle des mots qui s’y prêtent. Ou, plus précisément, ce serait le fait de l’ingé­niosité, qu’il relève[9], dont ces efforts témoignent.

Il ressort de tout cela qu’on estimera le nom d’autant mieux trouvé qu’il semblera parlant, étant entendu qu’il doit paraître parler de lui-même, ce qui est aussi le propre du logogramme. Le nom ‘Prouhèze’ fait songer à « ogresse » et à « bougresse » (propos supposés de corps de garde[10]), comme à ‘promesse’, à ‘proue’ et à ‘prouesse’, une prouesse as­sortie d’un dièse : « J’aime ce rythme blessé et cette note qui s’altère » (III, 9). Le « rythme blessé » renvoie à l’héroïne (le « pied boiteux », l’« aile rognée » I, 5), l’altération de la note à son nom, mais ces motifs parallèles sont symboliquement équivalents, tout est là. La finale -esse s’écrase en -èze, de même que la constance héroïque de l’amoureuse Prouhèze est altérée par la compromission de son mariage avec Camille. Prouhèze, c’est encore la dernière grande apparition dramatique du thème de la promesse qui ne peut être tenue, que relaieront les figures d’une Lune tout d’abord émouvante et bientôt résolument burlesque.

La rêverie de Rodrigue, puis les approximations désobligeantes des soldats attirent l’attention sur la « signifiance » du nom de l’héroïne, propos proclamé du prologue de Z. Marcas. Cependant il ne va pas s’a­gir de s’extasier, comme dans le récit balzacien, sur le potentiel d’ampli­fication poétique d’un nom qui exalte ce qu’a d’unique une vie en réalité toute resserrée sur elle-même et que le lecteur pourrait juger simplement banale. Prouhèze est au contraire un nom qui introduit une diversité d’images. Celles qui sont projetées sur l’héroïne. Si « Ysé, c’est moi » pour Mesa, on pourrait dire que « Prouhèze, c’est elle » pour Rodrigue, pour Camille, pour l’Ange, pour tous. Balthazar l’associe à son irréali­sable amour de Dona Musique, Pélage à la Vierge placée à la proue de sa maison, et les soldats, en supprimant l’altération de la syllabe finale de son nom, ouvrent la voie à leurs fantasmes. Ysé était unique, Prouhèze est universelle.

Revenons à l’anecdote successivement attachée à Balzac et à Clau­del. La question qu’elle ne manquera pas de faire surgir mérite d’être envisagée. La notion de fausseté n’ayant pas cours dès lors que l’unité res et verba dépend de l’intervention à bien plaire du poète, il est sur­prenant que les deux versions de cette anecdote présentent « Marcas » ou « Prouhèze » comme l’aboutissement satisfaisant d’une quête du nom juste. Car, enfin, de quelle justesse peut-il s’agir, quand on sait que ces appellations providentielles auraient aussi bien pu échapper aux inves­tigations des promeneurs que n’exister nulle part, ou être supplantées par d’autres, ce qui attache à tout le processus un caractère hasardeux et même douteux qui porte atteinte à sa valeur heuristique.

C’est ici que le protocole imaginé par Balzac-Gozlan s’écarte de la procédure de lecture des (supposés) « idéogrammes occidentaux », comme aussi du fameux prologue de Z. Marcas. Quand le lecteur de gra­phies met tout son art à ne pas distinguer le dessin que forment les lettres d’un mot, le sens de ce mot, et la réalité qu’il signifie[11], quand Z. Marcas ne fait qu’un du personnage et de son nom, Gozlan montre au contraire que Balzac opère un déplacement en passant du nom réel au nom romanesque. La réalité où les noms sont aléatoires et la fiction où ils ne le sont pas opposent alors leurs deux pôles.

Le récit de Gozlan suppose implicitement que le nom transféré d’un pôle à l’autre semblera d’autant plus juste qu’il paraîtra moins con­venir à la nature de son possesseur réel et davantage à celle du person­nage de fiction qui s’en voit doté. C’est que le pouvoir de l’art se mesure alors précisément à l’ampleur de cet écart entre réalité faible (un métier quelconque, un homme maladroitement désigné) et fiction forte (un per­sonnage glorifié – « clarifié » – dans son nom). La réalité est abandonnée à ses balbutiements, tandis que l’artiste rêve d’accéder à l’ordre essentiel auquel il ne cesse de se référer quand il tisse ses réseaux de rencontres inédites et significatives entre les mots et les choses (Breton, Leiris, Ponge)…

En coiffant sa noble héroïne de la Renaissance d’un prénom à la résonance héroïque (prouesse) et fatale (promesse), tout en assurant que dans la réalité ce prénom est au contraire le nom d’un homme, de plus de condition modeste – un artisan, un commerçant –, et qui appartient à la banalité du monde citadin actuel, Claudel accepte le postulat de l’anecdote contée dans Balzac en pantoufles : si l’ajustement du mot, de la signifiance et du référent n’existe pas de plein droit dans le monde réel, rien n’empêche d’en faire un objectif littéraire valorisé, ni d’y travailler à l’ombre du grand romancier. C’est ainsi qu’il propose pour ce nom pro­pre masculin que serait en réalité Prouhèze (c’est lui qui s’arrange à nous l’apprendre) une destination féminine qui s’accorde en français[12] avec la finale en « e » muet (-èze) et qui confirme la présence des noms communs, eux aussi féminins, qui y demeurent à l’état latent, nous l’avons vu. Autant dire qu’à sa façon il accomplit, en somme, le vœu de Mallarmé : que le poète « rémunère le défaut des langues »[13], c’est-à-dire qu’il compense par son art ce qu’elles expriment au moyen de termes aléatoires, sans convenance ni vérité. À cet égard, le baptême de son héroïne ressemble fort à un coup de dé qui abolit le hasard, ou tout au moins qui en corrige l’une des inadvertances.

S’il est remarquable que Claudel nous fasse en quelque sorte découvrir Mallarmé chez Balzac, une réminiscence balzacienne n’a en soi rien qui doive étonner chez l’auteur du cycle des Coûfontaine, puis­que c’est précisément à propos de Balzac qu’il note dans son Journal « les parentés indéniables » de L’Otage avec Une ténébreuse affaire : « C’est le premier cas que je constate clairement en moi de mémoire subcons­ciente, mais certainement je pourrais en trouver d’autres »[14].

L’œuvre claudélienne s’avère en effet pleine d’emprunts, souvent minuscules comme ceux qu’un Pierre Michon relève dans la sienne propre[15]. Nombre d’entre eux ne sont pas faciles à repérer et à identifier. Comme il en use avec la Bible, Claudel fait dialoguer une quantité im­pressionnante de textes profanes les plus divers qu’il lit par-dessus l’épaule de ses lecteurs et dont il réinscrit des morceaux ou plus souvent des bribes dans ses propres textes. Quand, par chance, il leur arrive de discerner la présence d’une de ces sortes de citations implicites, une difficulté de taille les attend : quel statut faut-il leur accorder ? sont-elles conscientes ou inconscientes ? latentes ou patentes ? significatives ou indifférentes ? Ces expressions, ces images étroitement découpées, prises ailleurs, et dont la provenance se laisse (ou non) apercevoir, en quoi se distinguent-elles du nom du tailleur sur son enseigne, pièce infime du réseau langagier qui double le monde réel, à laquelle Claudel a voulu donner un écho en s’inspirant du mode d’emploi fourni par le récit de Gozlan. Car plus que le cratylisme assigné à la rêverie et dont il fait un jeu, le dialogisme fondamental du langage est sa véritable ressource, les échanges davantage que la fixité.

C’est en tout cas dans cette direction que le Cantique de Mesa de la Nouvelle version pour la scène de Partage de midi (1949) dirige le regard, à partir du moment où l’indication scénique qui annonce « un rinforzendo [sic] de la bouilloire stellaire » sollicite l’attention. Quelle bouilloire stel­laire ? L’emploi de l’article défini laisse supposer qu’on sache de quoi il s’agit. Normalement, cet article s’applique à un nom dont le sens est déterminé, et convient à un être ou à un objet individualisé. Ici, rien de tel : c’est la première fois qu’est mentionné cet objet inconnu. Apparem­ment venue de nulle part, cette étrange bouilloire introduite sans prépa­ration semble toujours avoir été là.

Insérée tardivement dans la dernière version de Partage de midi, la bouilloire du Cantique de Mesa n’y figure donc pas non plus d’entrée de jeu. On ne sait d’où elle vient, contrairement au « Poëte » de L’Endormie, qui déboule dans La Lune à la recherche d’elle-même de toute la vitesse d’une moto imaginaire. Le Cantique, est-il noté au début d’indications scéniques qui ne mentionnent alors nullement cette bouilloire, « est fait <du> dialogue » qui s’établit peu à peu entre Mesa et le « sourd grom­mellement d’une liturgie lointaine : par exemple ces textes de l’Écriture qui ne nous arriveraient perceptibles que comme un torrent de conson­nes »[16]. Suivent, à titre de suggestion, deux versets de l’Ancien Testa­ment en latin (Job 38, 2 et 4), qui doivent donner lieu à une récitation chorale incompréhensible. Puis soudain, sans explications, la liturgie biblique s’efface : il n’en est plus fait mention. C’est alors que surgit, littéralement à sa place et cette fois sans commentaire, cette bouilloire dotée de compétences morales étonnantes, comme de l’irrépressible dé­sir de les exercer.

Mesa questionne, s’exalte, se plaint, et voilà qu’un pot d’eau chaude en mal d’expression semble répondre, comme si les sons qu’il émet pouvaient être le fait d’une sorte d’interlocuteur invisible, avatar de ce que deux variantes de la même époque nomment « Une voix » ou, à nouveau avec un article problématique, « la Voix »[17]. Quelle voix ? Rien ne le dit. Or, cet article injustifié s’explique si Claudel entend dési­gner des objets ou des idées figurant dans un texte certes différent, mais si étroitement apparenté au sien dans son esprit qu’il ne lui semble pas nécessaire de distinguer les éléments qu’ils se partagent. Il n’installe donc pas complètement dans l’espace de sa propre écriture les termes étrangers qu’il choisit d’y faire migrer et qui renvoient – nous allons le montrer – à un récit de Dickens.

C’est que l’auteur de Partage de midi se refuse à interrompre les échanges des deux textes – celui qu’il est en train d’écrire et celui qu’il se remémore –, échanges qu’à propos de l’inclusion des versets en latin, il appelle lui-même, nous venons de le voir, leur « dialogue »[18]. Celui-ci ne se distingue en rien des relations qu’habituellement les textes littéraires entretiennent entre eux à bien plaire, par le moyen de citations, d’allu­sions, de remplois, etc., si ce n’est qu’il est projeté sur la scène. Cette dramatisation montre que Claudel était parfaitement au clair sur la na­ture de l’intertextualité et qu’il entendait en exploiter les virtualités théâtrales, comme en témoignent d’ailleurs plusieurs de ses dernières pièces. Soit qu’il puise dans son propre fonds (L’Endormie ou Tête d’Or), soit qu’il se tourne vers le répertoire (Les Fourberies de Scapin), il théâtra­lise la rencontre de l’œuvre ancienne et de l’inspiration nouvelle.

Avant d’examiner de plus près le dialogue qui se dessine ici, rappelons que la « bouilloire stellaire » tard venue ne s’en tient pas aux sons inarticulés grâce auxquels elle délivre tout d’abord des sortes d’ap­préciations. Mesa comprenant enfin ce qu’on lui veut quand il se rend compte que « la bouilloire n’est pas contente », les étoiles prononcent alors complètement le message commun à toutes les versions tardives qui le développent de plus en plus : « Les autres – les autres – les autres – les autres. / Les autres, bon gré mal gré, que cela existe, mais oui, les autres, et non pas toi tout seul est-ce que tu l’as appris à la fin ? »[19]

En passant du soliloque à un dialogue qui théâtralise l’interaction des textes, Claudel opère un changement qui fait si parfaitement écho aux théories littéraires de son temps qu’il pourrait paraître seulement formel. Ce n’est pas le cas. La transformation du Cantique suit l’orienta­tion générale de la refonte du Ich-Drama qu’est Partage de midi : l’objecti­vation des valeurs.

Dans la première version tardive, c’est-à-dire dans la deuxième version (celle qu’a préférée Barrault), il n’y a encore ni Voix, ni « bouil­loire stellaire », et Mesa prête une oreille de plus en plus inquiète au silence qui fait masse autour de lui, rappelant l’échec de sa vocation religieuse (felix culpa) sanctionné par le silence de Dieu :

Qui a eu une fois communication de votre silence ça va bien !
Il n’y a pas besoin d’explication.
(Temps. Silence lourd.)
Les autres ? Quoi les autres ?
(Temps. Silence lourd.)
Oui, cela existe, bon gré, mal gré, cela existe, oui.
(Temps. Silence lourd.)[20]

En ce lieu où la métamorphose du drame primitif est à son plus haut point, Mesa discerne une intention et il identifie aussitôt une exi­gence dans les interruptions muettes qui, lui semble-t-il, le prennent à partie. Finalement, il se croit appelé à remplir lui-même le rôle fantôme que dessinent les réserves silencieuses dont il ressent de plus en plus nettement la sollicitation.

C’est ce silence que, dans les deux tardifs fragments (dits « va­riantes »), « une Voix », puis « la Voix », et enfin, dans l’ultime refonte, « la bouilloire stellaire » sont chargées de faire parler de façon directe. À l’opposé du chœur en latin, elles s’expriment dans le registre d’une cer­taine intimité familière, en harmonie avec les gages non négligeables que la pièce donne au monde féminin de l’habitation humaine (Ysé fait du thé, tricote, etc.) À noter que, en dépit de l’adjectif « stellaire » qui la qualifie, « la bouilloire » suggère le foyer plus nettement que la Voix. Est-ce pour cela que celle-ci ne fut pas retenue ? Le spectateur, quant à lui, n’a aucune notion précise de cette « bouilloire stellaire », puisque nulle mention n’en est faite dans le discours des personnages. Cet avatar domestique de « la Voix » humanisée, mais non personnalisée, est, com­me elle, un rôle sans être un personnage[21]. Ce rôle, Claudel l’attribue ici à la loi morale qu’il dresse en rempart contre la privation d’amour dont le Cantique de Mesa fait le constat abyssal.

On peut se réjouir que l’incarnation de cette « bouilloire » n’ait pas été poussée plus loin, tant l’objet et le mot qui le désigne appartiennent à un niveau de style peu compatible avec l’évocation du ciel étoilé, qui était confiée au discours de Mesa dans la version de 1905 et dans la pre­mière version tardive. Cependant, la « bouilloire stellaire » a beau parti­ciper des mesures d’évitement du haut langage qui caractérisent l’ultime avatar de l’œuvre, elle n’en témoigne pas moins pour la dimension cos­mique qui subsiste dans la représentation que l’auteur se fait de l’uni­vers du nouveau Mesa. La bouilloire branchée sur les étoiles symbolise le « firmament » : « La bouilloire dans son immense langage réparti sur toute la totalité du firmament, elle répète : – Les autres, etc. »[22]

« La bouilloire, elle répète » : la construction orale n’a rien ici d’une négligence fâcheuse. En montant en épingle le mot « bouilloire », la syntaxe trouve le moyen d’en souligner l’intégration incomplète qui retient notre attention. Autrement dit, cette mise en évidence, qui est aussi celle d’un style, pourra inciter à construire une lecture intertex­tuelle, comme déjà la présence insolite de l’article défini y invitait.

Et, effectivement, tout comme la Voix, cette bouilloire renvoie à l’un des contes de Noël de Dickens, The Cricket on the Hearth (Le Grillon du foyer), si célèbre en son temps qu’il connut un nombre incalculable de versions pour la scène, et qui demeura longtemps très populaire. Ce ré­cit déroule dans ses dernières pages, présenté de façon fantaisiste et simple, mais avec des intentions sérieuses, un long examen de cons­cience dont les versions successives du Cantique de Mesa se rappro­chent en proportion des gages qu’elles donnent au ton familier.

Se croyant trompé, un mari tout d’abord furieux, puis en larmes, médite sur son malheur au cours d’une longue et douloureuse nuit. Il comprend progressivement qu’il a imposé une présence bien peu con­vaincante à une épouse charmante et méritante. L’introspection a la forme d’un discours intérieur auquel se substitue une Voix extérieure de plus en plus dominante. À la faveur de cette transformation qui retien­dra l’attention de Claudel, tout un train de réflexions accablantes est imposé au pauvre homme. Ce pouvoir qui s’exerce apparemment de façon irrationnelle est évidemment celui de la conscience, quand bien même le conte lui prête des aspects fantasmagoriques (« suggesting his reflections by its power »[23]).

Quant à la bouilloire, dont les « hum hum » scandent le récit, elle est l’organe du foyer (hearth), ce mot étant pris dans les deux sens do­mestiques qu’il a aussi en français (permettant une lecture symbolique à laquelle le mot ‘âtre’ ne se prêterait pas). La fusion de ces sens est l’idée poétique autour de laquelle s’agence tout le conte qui ne serait autre­ment que peinture de mœurs sans âme et quiproquos rebattus. Ce n’est donc pas un hasard si l’on trouve précisément, dès la première version de Partage de midi, une occurrence de ce motif où ces deux sens apparais­sent clairement, on peut même dire ostensiblement, puisque Claudel les oppose l’un à l’autre, au lieu de les fondre dans une syllepse comme le fait Dickens. Au début du premier acte, quand Ysé déclare, après avoir inventorié son bagage : « Voilà mon ménage et mon foyer ! », Mesa la reprend en montrant le soleil : « Le voilà, notre foyer[24], troupe errante ! Ne le trouvez-vous pas allumé comme il faut ? » Comme il faut, ce foyer menacé par l’adultère ? Toute la question est en effet là. Dans le conte, où elle demeure informulée, un happy end conventionnel y répond par l’entremise de la Voix du foyer, qui relaie la bouilloire et le grillon (l’é­pouse est demeurée fidèle). Claudel a laissé tomber le grillon. Et il a imaginé une tout autre réponse.

Quand bien même Partage de midi fausse finalement compagnie à Dickens, on notera que la méditation du Cantique, tout comme la « thoughtful night »[25] du conte, ont en commun de préparer le retour en grâce de la femme aimée. De part et d’autre, des pauses narratives longues introduisent à une action uniquement morale : le renversement de l’état d’esprit du principal personnage masculin. Or, chez Dickens, c’est précisément par l’entremise des sortilèges du foyer que le mari qui se croit victime d’une femme infidèle (à tort, mais le lecteur ne le sait pas encore) sera conduit à une plus juste évaluation de la situation où l’a placé une union mal assortie. « Avais-je réfléchi combien peu je conve­nais à son caractère enjoué, combien fastidieux un lourdaud comme moi devait être pour quelqu’un de sa vivacité ? Avais-je réfléchi que je n’a­vais aucun mérite à l’aimer, que cela ne me valait aucun droit, puisque c’était forcément le fait de quiconque la connaissait. »[26] Tel est bien là aussi le discours que tient, non pas Mesa, mais Partage de midi. Mesa, qui s’accommode mal d’une très belle femme, a quelque chose d’un « lour­daud » (s’il n’est pas que cela)[27].

Claudel a-t-il pris conscience de tout ce qui rapproche le héros du conte anglais et le sien, et a-t-il voulu accentuer leur ressemblance en extériorisant, comme le conte, le mouvement de la conscience malheu­reuse, qu’il avait commencé par enfermer dans un amer bouillonnement intérieur ? Ce qui est certain, c’est que la méditation tourne à l’édifica­tion, comme chez Dickens, au moment où elle prend comme chez lui une forme dialoguée. Dans la dernière version, les étoiles ont déserté le discours de Mesa, qu’elles ornaient de façon splendide dans les pre­mières. Devenues indépendantes de sa subjectivité, elles ont désormais leur propre organe. Celui-ci évoquant à la fois les activités féminines d’Ysé et le monde domestique valorisé par le conte de Dickens, c’est peu dire que l’image du foyer « allumé » par le couple passionnel s’en trouve changée.

Le troisième trait dont j’aimerais éclairer la présence inattendue concerne une brève notation du Soulier de satin, dont la nature de com­mentaire surprend. Se tenant habituellement à bonne distance du dis­cours savant, Claudel dispense plutôt en poète qu’en historien les don­nées du monde réel que sa fiction réfracte, comme s’il faisait de l’Actrice son modèle : « par-ci par-là un rien, une fusée »[28]. Prenons donc acte qu’il a pourtant trouvé nécessaire de glisser dans les indications qui introduisent la scène II, 6 une brève parenthèse didactique où il affirme ne rien inventer en attribuant le nom de « saint jacques » à la constella­tion d’Orion : « On sait que le nom de Saint Jacques a été parfois donné à la constellation d’Orion. »

En supposant communes les connaissances qu’il évoque, Claudel signale implicitement qu’il n’est pas nécessaire d’en indiquer la prove­nance. – C’est aussi qu’elles sont à la portée de tout un chacun ! On en trouve mention aux pages ouvertes de ce « grand dictionnaire Larousse du XXème siècle » que le poète, entrant dans « le rôle de montreur d’é­toiles », consultait à Brangues avec ses petits-enfants « le soir après le dî­ner sur le perron du salon rouge »[29]. L’entrée consacrée à Orion informe que les trois étoiles placées en ligne droite à l’intérieur du quadrilatère que forme la constellation sont connues (entre autres) sous le nom de « Ceinture » ou de « Bâton de Jacob » (= Jacques : cf. I, 7).

Le « montreur d’étoiles » savait-il aussi, comme l’expose plus en détail le Grand Dictionnaire universel du XIXème siècle (1866-1879), que Bède le Vénérable substitua aux figures profanes des douze signes du zodiaque celles des douze apôtres ? Ce qui est certain et sur quoi notre attention est précisément attirée, c’est que Le Soulier de satin étend au Nouveau Monde la christianisation superficielle du ciel astronomique entreprise au moyen âge. Orion n’appartenant pas au zodiac, le poète catholique a pu se laisser suggérer par le Larousse de Brangues, qui associe Orion et Jacob, de rattacher à Jacques le Majeur la constellation géante, visible en Europe comme en Amérique du Sud. Une légende pieuse ne fait-elle pas de ce saint l’apôtre d’une Espagne qui, à son tour, allait communiquer sa religion aux habitants de l’extrémité de la terre ?

La double identité gréco-latine et judéo-chrétienne que Claudel attribue à la constellation la rattache aux deux sources de notre culture. Or la diffusion de la culture antique dans la culture chrétienne[30] a inter­pellé cette période de la Renaissance que le dramaturge a élue pour y rassembler un état du monde, qui n’a pas été choisi sans raisons. C’est l’époque où l’admiration de la Grèce et surtout de Rome, longtemps inconditionnelle au point qu’on en avait comme oublié que leur civilisa­tion était l’émanation de sociétés fâcheusement polythéistes, cède la place à l’étude d’un passé désormais tenu à distance par l’érudition. L’osmose des cultures, favorable à l’ordre chrétien, cède progressive­ment le pas. Même sans que la primauté de la doctrine chrétienne soit contestée, l’Antiquité qui renaît l’emporte sur les longs siècles d’efforts consacrés à rendre le cosmos antique compatible avec l’univers chrétien.

« Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours » : certes, mais ils auront perdu l’attrait vivant dont la Delfica de Nerval exprime la nostalgie. Orion retrouve sa place légitime, mais lointaine, quand les sciences de l’Antiquité sont au pinacle[31], tandis que dans les universités la science nouvelle de Copernic fait sa première apparition contre la­quelle le laïque et superficiel Léopold Auguste rameute une arrière-garde que Claudel dévitalise, telle une dent malade dont il va falloir préserver la racine.

Ce basculement est irréversible. La religion assiste impuissante à la séparation des traditions qu’elle avait su relier. Claudel a jugé l’atteinte d’une si grande importance qu’il a voulu en marquer la place dans cette première mondialisation moderne dont Le Soulier de satin offre une image. En effet, tout ce chambardement est lourd de conséquences, rap­pelle le « montreur d’étoiles » qui n’attribue pas sans arrière-pensées une âme et un cœur catholiques à la constellation des amants et des con­quérants. Celle-ci confessera son baptême dans le dernier vers de la scène : « Levez vers moi les yeux, mes enfants, vers moi, le Grand Apô­tre du Firmament. » Orion ou Jacques ? Significativement, le locuteur se désigne doublement (« vers moi / vers moi »), mais il ne se nomme pas. Cette réticence rappelle une lutte d’influence désormais éteinte.

La christianisation post mortem du cosmos antique aussi bien que la déchristianisation qui a suivi étant tombées dans l’oubli, Claudel a tenu à éclairer la véritable curiosité historique que représente le « Saint Jacques » du Soulier de satin, montant incognito sa garde éternelle dans un ciel que la nomenclature biblique avait déserté. Il savait évidemment qu’il écrivait pour un public chrétien en très grande partie acculturé. Dans cet ordre d’idées, il n’est sans doute pas indifférent qu’en 1922, c’est-à-dire tout juste à l’époque où il composait son drame, l’Union as­tronomique internationale ait décidé de désigner toutes les constella­tions par leur nom latin (c’est-à-dire, pour Claudel, païen[32] !)

La vocation missionnaire particulière de Don Gusman, l’explora­teur qui cherche à annexer à la religion catholique les antiques tombes américaines, met en pleine lumière le phénomène (qu’on retrouve dans toute conquête de l’hégémonie culturelle) dont relève la christianisation de la constellation : « Je veux apaiser avec la vraie croix les anciens maî­tres. Qui était notre conquête, je veux que cet ancien monde devienne notre héritage ! »[33] La trilogie associerait plus nettement les héritages d’Orion, de Jacob et de Jacques, puisque les Coûfontaine perdurent en absorbant les Turelure et, par la grâce de l’Alliance transmise par Sichel, transforment en bons catholiques la descendance d’un sorcier.

Le tailleur/charbonnier, la Voix/bouilloire, Saint Jacques/Orion sont l’expression duale de rôles issus de la mémoire livresque de Clau­del, qui laissent entrevoir certains des enjeux culturels et littéraires sur lesquels s’est construite son œuvre. Que les connaissances qui s’y font jour surprennent par leur diversité, leur éclectisme, ou peut-être par l’apparence de futilité qu’il leur confère en les évoquant du bout de la plume, on se gardera d’oublier qu’elles ont assuré l’assise de sa repré­sentation du monde, soumise au temps plus qu’on ne le pense souvent, et attentive au caractère variable de l’apparition de toute chose. 

Antoinette WEBER-CAFLISCH


1. Léon Gozlan, Balzac en pantoufles, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 104-112. Il s’agit de la réédition de l’ouvrage de 1862.
2. Id., p. 106.
3. Même s’il est avéré qu’a bel et bien existé un certain Pierre-Augustin Marcas, il n’est pas interdit de prendre toute cette histoire de quête du nom pour une mythification de l’inspiration, et peut-être aussi pour une mystification que Balzac aurait montée au profit d’un ami crédule, ou au contraire d’entente avec lui. Quoi qu’il en soit de la valeur de témoignage du récit de Gozlan, on notera que la romancière Edith Wharton, qui s’y réfère, lui trouve un aspect peu crédible : « je me suis souvent demandé comment les romanciers dont les personnages arrivent sans nom réussissent à établir des relations avec eux. » (Les Chemins parcourus, autobiographie, Flammarion, 2001, p. 191).
4. Jacques de Bourbon-Busset, La Nature est un talisman, NRF, Gallimard, 1966, p. 197, cité dans notre Dramaturgie et poésie, 1986, p. 325.
5. Lettre à Aurousseau du 21 février 1925 (Th. II, 1971, p. 1468, où le nom de l’héroïne est transcrit – à tort ? – ‘Prouhizi’).
6. « Notre globe est plein, tout s’y tient. Peut-être reviendra-t-on quelque jour aux Sciences occultes » (Z. Marcas, « la Pléiade » t. VIII, 1984, p. 830).
7. On connaît la thèse qu’a soutenue Gérard Genette dans l’essai « L’écriture en jeu » (Mimolo­giques, Seuil, 1976). Claudel ne serait cratyléen qu’en ce qui concerne l’écriture. Dans « L’harmonie imitative », le poète qui tente de s’expliquer à sa façon se réfère à un concept global où se mêlent le cratylisme et les diverses traditions attachées à remotiver l’écriture, mais sans s’y arrêter (Pr., 1965, p. 96-97).
8. L’invention du logogramme, antérieure à celle de l’alphabet, suppose qu’écrire revienne à évoquer une chose et à faire émaner son nom, dans un monde où la chose et son nom sont iden­tiques.
9. « L’Harmonie imitative », Pr., 1965, p. 101.
10. Les soldats qui présentent Prouhèze comme la maîtresse du renégat Camille associent sur son nom : « elle s’appelait un drôle de nom, quelque chose comme Ogresse ou Bougresse, / Prou­hèze » (Soul., IV, 11).
11. Comme déjà Socrate le rappelait, l’unité cosmopoétique à laquelle voudrait croire Cratyle est un rêve qu’infirme la pluralité des langues. Au même objet correspondent divers noms que les différentes langues établissent par « convention » (Cratyle, 435c), en sorte qu’aucun ne peut pré­tendre, en théorie, être plus juste qu’un autre.
12. On lit « Prouhizi » dans la lettre à Aurousseau (cf. supra, note 5). Claudel aurait-il francisé un nom italien, comme, ou plutôt presque comme Piranesi devient Piranèse ?
13. « Crise de vers », O. c., « la Pléiade », 1979, p. 364.
14. J. I, 1968, p. 814.
15. Pierre Michon signale que dans sa Vie de Joseph Roulin un mot, « écaillères », et une expres­sion, « un vol énorme d’hirondelles », proviennent directement de Mort d’un personnage de Giono, auteur auquel il se dit redevable de façon importante (Le Roi vient quand il veut, Albin Michel, 2007, p. 332). Une insertion ponctuelle et qui semble avoir le statut d’un détail sans importance peut donc témoigner pour un tropisme majeur.
16. Th. I, 1967, p. 1218.
17. O. c. XI, p. 333 et p. 337.
18. Th. I, 1967, p. 1218.
19. Id., p. 1219-1220.
20. Id., p. 1135.
21. Sur l’effacement du personnage en faveur du rôle, on lira, de Marie-Victoire Nantet, « Le Soulier de satin, de la personne au rôle » (Les Amants stellaires, une mise en images du Soulier de satin de Paul Claudel, Paris, ARTinprogress éditions, 2005, p. 23-28).
22. Th. I, 1967, p. 1219. Comment le metteur en scène s’y prendra-t-il pour faire comprendre au public la provenance céleste, stellaire, du langage de la bouilloire ? On peut imaginer des solutions techniques (lumières, cinéma).
23. Charles Dickens, Le Grillon du foyer, Conte de fées domestique /The Cricket on the Hearth, A Fairy Tale of Home, folio bilingue, 2006, p. 218.
24. Que le ciel soit le véritable foyer de Mesa, voilà qui permet de comprendre que le bruit (supposé) des étoiles puisse être rapproché de celui qu’émet une bouilloire. Dans les indications scéniques, Claudel cherche à convaincre de l’existence réelle de ce bruit qui évoque une tradition pythagoricienne dont Cicéron s’est fait l’écho dans le célèbre « Songe de Scipion ». La tradition savante n’exclut pas le folklore : dans un roman paru en anglais en 1930, Le Piège d’or, James-Oliver Curwood affirme que l’apparition de l’aurore boréale est annoncée par la « musique des cieux » : « tantôt un sifflement strident, tantôt un murmure doux, assez semblable au ronron d’un chat, et, par moments aussi, quelque chose comme le métallique bourdonnement d’une abeille » (traduit en français par P. Gruyer et L. Postif, Hachette, 1947, p. 36).
25. Le Grillon du foyer, p. 228.
26. Id., p. 241.
27. La Muse constate : « O lourd compère ! […] tu es trop lourd pour voler / Et le pied que tu poses à terre est blessé. » (Po., 1957, p. 272).
28. Soul. IV, 6.
29. Marie-Victoire Nantet, « Hommage à la Lune du Soulier de satin », à paraître.
30. C’est le thème récurrent du célèbre ouvrage d’Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin.
31. Le décor représentant les ruines de la voie Appienne, et le personnage de l’archéologue de la scène II, 5 témoignent du goût pour les fouilles et pour l’étude de l’Antiquité, caractérisant la Renaissance. La statue d’idole sans tête, mais apparemment toujours en activité, qu’évoque Mu­sique en Sicile manifeste au contraire la persistance à bas bruit du paganisme dans l’Europe chré­tienne.
32. « Soyez béni, mon Dieu, qui m’avez délivré des idoles, / Et qui faites que je n’adore que Vous seul, et non point Isis et Osiris » (Po., 1957, p. 251). Les thèmes des constellations et des reli­gions antiques, polythéistes et hébraïque, sont récurrents dans les Grandes Odes.
33. Soul. II, 12.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Bibliographie

Paul CLAUDEL

Cinq Grandes Odes, traduction en bulgare par Andrey Manolov, éd. Prozoretz, 2004.
‘La Cantate à trois voix’ et autres poèmes, présentés et traduits en hongrois par Szabo Ferenc, éd. Uj Ember Kiado, 2005.
Le Chemin de la Croix, traduit en suédois par Gunnel Vallquist et Olov Hartman, éd. Silentium, 2007.
Théâtre, anthologie traduite en slovaque, éd. Divadelny Usta, Bratislava, 2007.

Marijan OBLAK

Paul Claudel, Converti, Diplomate, Écrivain, [ouvrage en croate], éd. Sveuciliste u Zadru, Zadar, 2006.

Gérald ANTOINE

« Claudel lecteur de Bergson », in Centenaire de la parution de l’Évolution créatrice de Bergson, colloque du 21 septembre 2007 à l’Institut de France, Institut 2007 n° 10, p. 51-57.

Fabio BATTISTINI

« Mettere in scena oggi Claudel », p. 107-118. (Note 1)

Beatrice BUSCAROLI

« Mon petit Paul ; ma pauvre sœur. Camille e Paul Claudel artisti e fratelli », p. 91-106. (Note 1)

François CLAUDEL

« Paul Claudel, l’Italia e il Vaticano », p. 35-50. (Note 1)

Massimo COLESANTI

« Incontri romani di Claudel – Il conte Primoli, la Duse (con lettere e documenti inediti), p. 21-34. (Note 1)

Michael EDWARDS

« L’Eutopie. La littérature et l’espoir du lieu », Études n° 4081, janvier 2008, p. 69-79.

Filipo FIMIANI

« L’enunciazione arborescente d’una nuova arte poetica », p. 67-82. (Note 1)

Nina HELLERSTEIN

« Claudel à Angkor Vat : Le Feu Divin et Infernal dans Le Poëte et le Vase d’Encens », p. 27-38. (Note 2)

Bernard HUE

« Imitation et désacralisation de Claudel au Canada français », p. 5-26. (Note 2)

Giovanni MARCHI

« Fede et passione teatrale in Paul Claudel », p. 59-67. (Note 1)

Catherine MAYAUX

« Paul Claudel, le promeneur du Kansai : visite au théâtre de marionnettes d’Osaka », in Catherine Mayaux (éd.), France-Japon : regards croisés. Échanges littéraires et mutations culturelles, Peter Lang, 2007.

Sergio PAUTASSO

« La meditazione su Claudel di Carlo Bo », p. 83-86. (Note 1)

Timothée PICARD

« Comme le mi a besoin du do : le modèle musical de Claudel », in Bulletin de l’Association pour la Recherche Claudélienne n° 6, année 2007, p. 3-56.

Pierre PIRET

« De l’exception. La fonction analytique du discours littéraire et sa condition esthétique », in Xavier Garnier et Pierre Zomerman (éds.), Qu’est-ce qu’un espace littéraire ?, coll. L’imaginaire du texte, Presses Universitaires de Vincennes, 2006, p. 49-63.

Cardinal Paul POUPARD

« Introduzione (alla VI giornata riflessione su “Letteratura e cattolicesimo nel ‘900”) », p. 13-20. (Note 1)

Éric TOUYA de MARENNE

« Claudel, Milhaud et l’art de la polyphonie », p. 73-78. (Note 2)

Giuliano VIGINI

« Claudel, interprete della Biblia », p. 51-58. (Note 1)

Sergio VILLANI

« Claudel et ‘L’Enfant-Jésus de Prague’ », p. 79-88. (Note 2)

Marie-Joséphine WHITAKER

« La Poétique des Cinq Grandes Odes », p. 39-72. (Note 2)

 

Note 1 : Il gigante invisibile. Paul Claudel a 50 anni dalla morte, Pontificum consilium de cultura, VI giornata di reflessione su « Letteratura e cattolicesimo nel ‘900 », Fondazione Primoli, 23 februaro 2005, Quaderni della bibloteca Spadoni 2, éd. Teatro della Pergola Biblioteca Spadoni, Gremese, 2008.
Note 2 : Paul Claudel Papers, volume V, december 2007.

Travaux universitaires

Luca BARBIERI : L’Ode aux Muses de Paul Claudel entre classicisme et modernité : métamorphose d’un genre littéraire, Thèse [Tesi di Laurea] soutenue à la Faculté des Lettres et de Philosophie de l’Université de Trente, en Italie, 2007.