En hommage à Paul Petit

La bibliographie1 disponible sur cette page a été établie par Paul Petit, en étroite collaboration avec Paul Claudel, dont il était l’ami depuis 1922. Paul Claudel lui a rendu hommage lors de la publication de Résistance spirituelle2 regroupant les écrits clandestins qui lui avaient valu d’être condamné à mort par les nazis, en introduisant ce recueil par le poème suivant :

 

Paul Petit 3

Le vingt mars mil neuf cent quarante un, il y eut un homme tout seul qui jugea que le moment était venu de prendre l’offensive.

C’était au plus submergé de la défaite, au plus tordu et retordu de la compression intensive,

Au plus prostitué de cette heure et de cette femme qui livre son âme.

(« Car puisque j’ai livré mon corps », dit la France, « aussi bien pourquoi pas mon âme ?

« Les Allemands sont les plus forts, pas la peine de faire de l’embarras ! »)

L’heure de la réponse infâme, à la proposition infâme la réponse infâme : Pourquoi pas ?

C’était votre heure, amiral Darlan ! La vôtre, Monsieur le Maréchal,

Littéralement accablé sous le poids des bénédictions épiscopales.

Mais le vingt mars mille neuf cent quarante un, il y eut un homme sévère, glace et feu, ignorant de toute espèce de tact,

Qui jugea que le moment était venu de prendre la plume et de faire un tract,

Et que l’heure pour lui était là, et qu’il n’y avait pas moyen d’attendre plus longtemps,

L’heure dans la trahison générale, je suis tout seul ! et tradition solennelle et bénite et officielle de notre héritage à Satan,

De lever la main à Dieu, et de crier, comme Daniel :

Je suis innocent !

Cher Monsieur Paul Petit, ce n’est pas la première fois, qu’en vous je remarque cette intransigeance regrettable.

Le défenseur de Verdun, tout de même, avouez que c’était un bonhomme considérable.

Et cette main au bout de la manche étoilée, nous sommes bien obligés de la voir

Qui se noue à celle du Vainqueur authentiquement sous l’objectif de l’Histoire.

Que pouvions-nous faire de mieux que de nous fier à ce spécialiste vénérable ?

Et puisque l’honneur, paraît-il, est sauf, et que la défaite est inéluctable,

Et puisque la caution est bourgeoise du bilan et de la situation,

Eh bien, cette infortune, tant pis, autant vaut que nous en profitions !

Dans le bagage de Ces Messieurs d’ailleurs il y a des choses qu’on ne peut pas faire autrement que d’approuver.

Cet intérêt au réel par exemple et ce sentiment de l’autorité.

Nos rêves les plus chers, qui eût cru que tout à coup ils se réalisent ?

C’est la Providence elle-même, je vous dis, qui nous réservait cette surprise !

Et d’ailleurs, je n’ai rien à dire là-bas contre cet autre général

Il fait à Londres son travail, tout de même que de son côté à Vichy le fait notre Maréchal.

C’est avec la plus grande bienveillance que je suis ses efforts patriotiques,

Et s’il réussit, croyez-moi, je ne serai pas le dernier à crier : Vive la République !

C’est ainsi qu’en bon citoyen jadis, ennemi du désordre et de l’anarchie,

Rien au monde ne m’eût rendu royaliste que le rétablissement de la monarchie.

Dites, quand on a un beau physique, de ne pas en profiter, ce serait bête !

Regardez notre Maréchal ! Je suis sûr qu’il a une idée derrière la tête !

Quelqu’un de renseigné m’a dit qu’il a une combinaison avec les Etats-Unis.

Nous, il n’y a qu’à rester tranquilles, je suis sûr qu’il prépare quelque chose en catimini.

Il s’agit de reconstruire la France, la France de fond en comble, comprenez-vous ? Sans que personne s’en aperçoive :

Ce n’est pas une affaire qu’on confie à la cantinière des zouaves !

C’est plus qu’un héros, je vous dis ! c’est un malin, et je reste béant et béat

De voir comme de mieux en mieux il sait profiter de l’occasion, tout à plein et tout à plat,

Que ces idiots de Boches de plus en plus lui fournissent de mentir à tour de bras !

Le vingt-quatre août quarante quatre, à Cologne, après trois ans d’effroyable captivité,

Le vingt-trois août quarante quatre, à Cologne, Paul Petit a été fusillé.

Lecteur à qui je présente ces pages, tu feras attention, elles sont mouillées.

Brangues, 19 octobre 1945

 

 

1. Cette bibliographie est parue dans la revue La vie intellectuelle, 1932.

2. Résistance spirituelle, Gallimard, 1947, épuisé.

3. « Paul Petit » in Paul Claudel, Œuvre poétique, Gallimard, coll. Pléiade, 1967, p. 888-890.