Protée, résumé

Protée 1e version

« A la suite de l’Orestie, Eschyle avait placé un drame satyrique dont il ne nous reste que le titre : Protée. C’est en rêvant sur ces deux syllabes que je me trouve avoir composé la pièce suivante ». C’est en effet en 1913, au moment où il achève son travail sur la trilogie d’Eschyle en traduisant Les Choëphores, que Claudel rédige son Protée. Il charge Darius Milhaud, qui est train de composer pour lui une musique de scène pour Agamemnon, d’écrire la musique de Protée. La pièce, découpée en deux actes, fut publiée à la NRF en avril 1914.

La scène se déroule juste après la fin de la guerre de Troie, sur l’île de Naxos où règne Protée, le dieu des métamorphoses. L’imagination parodique de Claudel nous propose de voir Naxos comme « un grand gâteau de mariage anglais en sucre blanc ou comme le couvercle d’une soupière rococo ». A la scène 1, la nymphe Brindosier s’adresse à un troupeau de satyres déprimés. Le vieux Protée, qui collectionne sur son île tout ce qui tombe à la mer, les a repêchés dans l’eau alors qu’ils traversaient, enivrés, la Méditerranée en compagnie de Dionysos. Protée les tient prisonniers sur son île où, par esprit de farce, il essaie de leur inculquer la morale et les condamne à ne boire que de l’eau et du lait concentré. Brindosier, elle aussi captive de Protée, leur annonce leur prochaine délivrance : en effet Ménélas, de retour de Troie, va débarquer sur Naxos après avoir essuyé une tempête. Brindosier compte utiliser la ruse pour s’enfuir grâce au navire de Ménélas. A la scène 2, le spartiate —une brute épaisse— fait une entrée tonitruante en injuriant les dieux qui ont malmené son navire. Il tient par la main Hélène qu’il ne veut plus lâcher. Brindosier l’aborde à la scène 3. Elle essaie de lui faire croire que l’Hélène qu’il tient à la main est une fausse, et que la vraie se trouve sur Naxos dans les collections de Protée. En échange de la promesse de se faire embarquer en compagnie de ses frères les satyres, Brindosier enseigne au roi de Sparte le moyen d’obtenir de Protée tout ce qu’il faut pour réparer son navire : il s’agit de ceinturer le dieu par derrière et de le laisser faire ses métamorphoses sans s’effrayer, pour ensuite lui voler ses lunettes. La scène 4 nous montre Protée tout nu dans une baignoire, nourrissant ses phoques tout en leur enseignant l’arithmétique. Enfin à la scène 5, tandis que Brindosier s’affaire à servir le vieux Protée, celui-ci se moque de la nymphe dont il a deviné le petit complot avec Ménélas. Brindosier lui propose de tromper le roi de Sparte pour lui prendre Hélène, qui assurément pourrait compléter magnifiquement la collection de Protée. Il suffirait pour cela d’aveugler Ménélas et de lui faire croire que Brindosier est la vraie Hélène et les satyres ses « chastes suivantes ». Tenté, Protée finit par accepter et l’acte I s’achève sur le combat de Ménélas et Protée : le héros grec, croyant s’emparer des pouvoirs du dieu, tombe alors sous le charme de ses illusions.

A l’acte II, après un petit prologue assuré par le Satyre-Major, Ménélas se réveille et commence à faire la cour au Satyre qu’il prend pour une adorable nymphe. L’arrivée de Brindosier voilée ouvre la scène 2. Ménélas la confond avec Hélène, provoquant la fureur de la vraie Hélène qui, outrée de l’imposture, sort de son silence altier. Ménélas étourdi se retrouve entre deux Hélène qui essaient chacune de lui prouver qu’elle est la vraie. Ecartant Ménélas, Brindosier avoue à la scène 3 son imposture à Hélène. Tentatrice, la nymphe compare la vie spartiate qui attend Hélène à son retour en Grèce, aux charmes de la vie mondaine de Naxos. Seul théâtre digne de la gloire de la fille de Jupiter, Naxos s’offrirait à elle si elle échangeait sa place avec Brindosier. Hélène finit par accepter. C’est ainsi que la scène 5 offre un beau duo amoureux entre Ménélas et la fausse Hélène, devenue par les jeux de l’illusion plus vraie que la vraie. La scène 6 montre le départ de Ménélas et Brindosier sur le navire où rament les satyres. Mais le vaisseau ensablé ne bouge pas. Appelé à l’aide, Jupiter enlève au ciel l’île de Naxos en l’accrochant au bout d’une ficelle. Le navire peut enfin voguer tandis que les satyres et les phoques célèbrent en chantant leur libération. Resté seul en scène, Protée se lamente des farces de Jupiter qui l’ont ruiné tout en riant de Ménélas qui a pris Troie pour ne ramener à Sparte qu’une nymphe rouée et un « plein chargement de bêtes à cornes ! » 

Protée 2e version

Déçu par l’échec de plusieurs projets de représentation de Protée, Claudel reprit son drame satyrique en janvier-février 1926, après avoir achevé Le Soulier de satin. Il se trouvait alors sur le bateau qui le ramenait de France au Japon, au milieu de l’Océan Indien.

Hormis quelques modifications de détails, en particulier le remplacement du Satyre-Major par un Satyre-Majordome qui échange quelques mots sur l’art dramatique avec Protée au début du repas des phoques, Claudel modifie surtout la fin de l’acte II. Au moment où Hélène accepte de rester à Naxos et de laisser sa place à Brindosier, le Satyre-Majordome entre à la scène 4 avec une « énorme moule à deux pieds » qui servira à prendre la photo de la belle grecque. Lorsque Ménélas revient à la scène 5, le Satyre-Majordome lui annonce la réconciliation des deux Hélène que tous célèbrent par quelques couplets de vaudeville. Un envoyé de Jupiter fait irruption à la scène 6 : après avoir dansé avec Hélène « un petit ballet dans le genre classique », il l’enlève aux cieux dans un tourbillon. Ménélas se retrouve seul avec la fausse Hélène à la scène 7. Tout comme dans la première version, il embarque avec Brindosier dans son navire conduit par les satyres à la scène 8. Le bateau ensablé est délivré par l’intervention de Jupiter : « l’île s’engloutit sous la mer » tandis que les satyres rament en hurlant une chanson à boire. Claudel ajoute une neuvième scène pour le final qui nous transporte sous la mer, sur l’île de Protée immergée : tandis que Protée se plaint de la tasse qu’on lui a fait boire, un deuxième Protée vêtu « de bottes, d’un ciré et d’un casque de pêcheur » ouvre avec une petite clef en or la moule photographique d’où sort une Hélène synthétique. « Ainsi il y en a pour tout le monde ». Sur les accords de la marche nuptiale, une noce sous-marine s’organise pour célébrer l’union de Protée II et Hélène III. Les raies forment le cortège et les pieuvres jouent de la musique sur un piano mécanique. Une « baleine caparaçonnée de tentures et de lourds bijoux » s’offre de monture pour conduire les jeunes époux vers les béatitudes de l’autre monde, que symbolise burlesquement ce cadre sous-marin de fantaisie.

 

Sever MARTINOT-LAGARDE